Du génie français, Debray l’hugolien

Un essayiste et un polémiste

Qui ne connaît pas Régis Debray ? Pur produit du microcosme littéraire parisien, il a connu l’engagement avec Che Guevara et la prison. Libéré, il s’est engagé à gauche et a soutenu François Mitterrand tout en publiant romans et essais à un rythme soutenu. Aujourd’hui, Régis Debray pose un regard ironique et désabusé sur notre monde, fustigeant l’américanisation avec son essai Civilisation (Gallimard, 2017). Ici il revient à la littérature avec cette question : quel écrivain incarne le plus l’art d’être français ?

La question devait-elle être posée ?

Au début de la lecture de cet opus, on s’étonne du débat. Est-ce qu’il n’y a pas plus urgent ? Visiblement la société des gens de lettres était très préoccupée, Debray en est membre (toujours désabusé) et a vu le résultat arriver : Stendhal devant Victor Hugo. Mazette, dirait ma grand-mère, en voilà une nouvelle ! Puis Régis Debray essaie de comprendre pourquoi, au-delà de son talent (indéniable) voire de son génie, Henri Beyle est passé devant l’auteur de Notre-Dame de Paris…

L’ego et le chantre de l’universel

C’est là que Du génie français devient passionnant. On lit depuis plus d’une décennie à quel point les français d’aujourd’hui sont devenus individualistes, égotistes, passant plus de temps à faire des selfies et à poster des photos ou des vidéos sur les réseaux sociaux. On sait qu’il y a une perte du sens général, qu’on ne sait plus faire « nation » autrement que devant un match de foot (et seulement en cas de victoire). Or Stendhal est le chantre du moi. Julien Sorel, son héros emblématique ne parle que de lui face à cette belle madame de Reynal. D’ailleurs, Stendhal lui-même disait qu’il n’était bon qu’à décrire les tourments du cœur, du « moi ». Or Hugo est l’opposé de Stendhal. Hugo se préoccupe du monde, des humbles, des opprimés, défendant les grecs, les mexicains, les ouvriers. D’abord royaliste, il devient républicain, s’oppose à la peine de mort. Bref, il est l’anti-Stendhal. Et c’est lui que Debray préfère, même s’il aime Stendhal pour d’autres raisons.

Pourquoi pas ?

Sylvain Bonnet

Régis Debray, Du génie français, Gallimard Folio, mai 2023,144 pages, 6,90 euros

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