À la rencontre de Percy Kemp

À l’occasion de l’ouverture de Boojum L’animal littéraire, j’avais eu l’idée de vous proposer un ensemble de textes déjà parus que je pensais fondamentaux pour la compréhension de la littérature d’espionnage et un peu plus largement de ces auteurs qui font la littérature de genre d’aujourd’hui, loin du médiocre propulsé à coup de camions vers le pilon dont la presse traditionnelle nous abreuve.

Pour des raisons techniques qui me sont étrangères, cela n’est pas possible pour l’instant et plaignez-vous auprès de la rédaction, surtout parce que je serai obligé, entre deux manuscrits de vous trouver du nouveau concernant la littérature.

 

Couvertures des livres de Percy Kemp

 

Qui est Percy Kemp ?

Prenons par exemple le cas concret de Percy Kemp, qui prétend que John Le Carré est l’écrivain tous genres confondus qui marquera son époque, alors qu’il est lui-même celui qui a renouvelé le roman d’espionnage en France, le détachant de l’emprise de l’écriture du thriller américain par l’ancrage assidu au récit, plutôt qu’à l’action.

Je l’ai déjà raconté, mais rappelons les faits.

Percy Kemp est né en 1952, dans cet autre millénaire où les puissants se battaient d’un côté ou de l’autre du Rideau de fer. Il grandit dans une guerre civile où le maronite se battait contre le chiite, le sunnite, mais pas l’ismaélite, que l’alaouite ne survivait qu’à peine, alors que le grec orthodoxe ne parlait pas au grec romain en supportant le Druze si les récoltes étaient bonnes, et, dans cet absurde absolu qui fait la capitale libanaise, ne prenaient plus le thé avec les anglicans des bas-fonds de Minet El-Hosn.

Britannique jusqu’au bout de ce goût suranné, mais sûr, pour l’originalité de l’habillement, il reste Libanais, et surtout Jésuite par la pensée, française, culturelle, scientifique quant à la manipulation des réseaux.

Je ne me souviens plus comment je l’ai rencontré, une vie, mais précisément mon entrée dans le club confidentiel et si secret du Cercle Caron qu’il avait créé. Vous me rétorquerez que ce fut facile, parce que mon épouse en est la cofondatrice, mais vous vous tromperez alors dans la chronologie : je l’ai poussé à m’épouser bien plus tard.

Percy Kemp avait alors publié une dizaine d’ouvrages, le premier étant un essai sur Mossoul au XVIIIe siècle et cet incroyable Majnûn et Laylâ L’Amour Fou, avec André Miquel. Autant vous dire que je n’avais lu ni l’un ni l’autre, mais apprécié Musc, Moore le Maure et mon préféré, comme La Maison Russie pour John Le Carré, Le système Boone.

 

Dans les salons privés du St James Club

Photo du St James Club

Volkoff était encore vivant, et j’avais pris contre l’avis de mon banquier cet abonnement ruineux et parisien du St James Club, le seul endroit que je connaisse où nous pouvions profiter de clubs confortables, fumer des Churchill avec un whisky des plus rares, entourés des milliers de livres de la bibliothèque Thiers.

Mon chef d’alors m’avait expliqué qu’il payait là un confortable parking pour sa voiture, finalement moins coûteux que les amendes et les fourrières. La direction du St James fut ravie. Ma vieille Aston Martin dormait devant l’hôtel, bien centrée en bas des marches, et j’en retrouvais le souvenir sur la publicité du Club.

Percy Kemp n’avait pas encore écrit dans le Wooster Sauce, le magazine de la P.G Woodehouse Society, ni lu le Rapport du spectacle annuel du Royal County of Berkshire à Newbury, où la Société du souvenir de P.G parraine le prix du Champion des Champions dans la catégorie du cochon Berkshire. J’y reviendrai plus loin, un cadeau pour l’ouverture de Boojum.

L’écrivain était assis à droite au fond du bar, presque sous l’escalier en colimaçon qui permet de toucher les livres rares. Il avait en champ de vision l’ensemble des grandes pièces, mais restait invisible aux nouveaux arrivés.

Il avait entre les doigts un fume cigarette en pierre noire cerclé d’or qu’il leva pour m’inviter à m’installer.

C’est là que l’élégant dandy anglais, parlant aussi bien l’arabe que le français, me raconta une anecdote croustillante à la minute. Par exemple, comment, verbalisé pour excès de vitesse, il écrivit au juge local que celui-ci devait bien comprendre qu’il n’y avait qu’un avion par semaine pour que sa belle-mère puisse retourner chez elle, en Moldavie, que la crainte de manquer le vol lui avait fait oublier toute prudence. Le juge devait avoir en adoration la mère de sa propre épouse : il fit sauter l’amende et l’histoire ne dit pas si Percy Kemp fut aussi décoré des Arts et des Lettres par la même occasion.

Là, peut-être pour ne pas bouger de son fauteuil, il avait décidé que les réunions du Cercle Caron se dérouleraient dans un des salons privés du St James. J’y rencontrais des personnages étonnants, amusants, toujours choisis par Kemp pour leur manque de sérieux patent autant que leurs travaux d’écrivains

 

Bons baisers de Turquie

Hier, quelque peu énervé d’avoir dû jeter une semaine de travaux de compilation sur l’original écrivain, je décidais de l’appeler pour lui demander son actualité et l’avancement de son prochain roman, qu’il met trois ou quatre ans à bien vouloir offrir à son éditeur, habitué quant à lui au « vous m’aviez demandé le manuscrit avant le mois de novembre, mais vous ne m’aviez pas confié l’année ».

Il résidait en Turquie, « avec vue sur la Grèce ». Son épouse s’étant émue de l’état de délabrement d’une antiquité – « je ne parle pas de moi, mon état ne l’émeut plus ! » – il devait depuis affronter les longs palabres des ouvriers, dont les notions techniques sur la rénovation rimaient plus avec confusion.

Bien sûr qu’il écrivait et en plus il « avançait à reculons », signe que visiblement le sujet l’irritait. Mais, Percy Kemp avait une nouvelle toute fraîche qu’il me réservait, « l’écrit dont je suis sans doute le plus fier ! Un article paru ce mois-ci dans The Wooster Sauce, le magazine de la P.G. Wodehouse Society ! On ne peut pas faire plus sérieux que cela. »

Les écrivains sont comme cela, il faut vous y habituer. Comment un jour John Le Carré ou bien Philipp Kerr pourrait rivaliser avec Percy Kemp sur une publication aussi pointue ? Je sentais qu’il avait aussitôt demandé à ses ouvriers turcs de bien vouloir accrocher – et sans faire tomber un mur ! – le papier, magnifiquement encadré dans un cadre marqueté.

J’avais compris le message. Aux détours d’une conversation avec un écrivain, je jetterai et diffuserai l’information : « Étais-tu au courant que Percy a écrit dans The Wooster Sauce ? »

Un coup de poignard dans le cœur des plus insensibles.

Bien sûr, après avoir raccroché je me jetais sur internet pour découvrir le papier en question. J’apprenais sur le site de l’honorable société les révélations de Norman Murphy sur l’origine de Bertie Wooster, un examen des années de Wodehouse au Collège Dulwich par l’ancienne archiviste de l’Ordre, Margaret Slythe, une série sur les innombrables références à toutes les choses russes dans les œuvres de Wodehouse, par Masha Lebedeva et même un rapport d’un manga japonais avec Bertie et Jeeves.

Restait le texte, un monument. Je vous l’offre, cadeau de Turquie de Percy Kemp pour l’ouverture de Boojum.

 

Texte de Percy Kemp pour The Wooster Sauce

 

 

 

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