Le populisme en Europe centrale et orientale
Un spécialiste de l’Europe de l’Est
D’origine slovaque et doctorant en histoire à l’Université de Paris I Sorbonne, Roman Krakovsky est aussi maître de conférences à l’université de Genève. Spécialiste de l’Europe centrale et orientale, il a notamment publié Réinventer le monde. Le Temps et l’espace en Tchécoslovaquie communiste et L’Europe centrale et orientale de 1918 à la chute du mur de Berlin. Avec Le Populisme en Europe centrale et orientale, il tente d’expliquer les causes endogènes de l’expansion du populisme à l’est du continent, trente ans après la chute du mur.
Les origines d’un populisme est-européen
Longtemps soumise à des empires multinationaux (Russie, Autriche, Turcs ottomans), ce qu’on appelle communément l’Europe de l’est n’a donc pas connu la même histoire que l’Ouest et ses révolutions atlantiques, pour paraphraser Jacques Godechot. Caractérisées longtemps par une forte population rurale, peu industrialisés (à l’exception de la Bohême et de l’Autriche), les futurs Etats de cette partie du continent n’ont accédé à la démocratie parlementaire qu’après 1918. Les partis paysans ou agrariens, marqués par une idéalisation du peuple dans la lignée des populistes russes, ont très vite obtenus de gros scores électoraux. Quant aux minorités ethniques (Allemands, juifs…), elles furent brimées durant l’entre-deux guerres car vues comme des soutiens de l’Ancien Régime.
Après 1945, ces Etats ont gagné une homogénéité ethnique de fait (ce qui n’exclut pas l’antisémitisme) sous la férule de partis communistes qui n’hésitent pas à jouer des ficelles populistes si besoin. Un tel héritage, selon Roman Krakovsky, fournit le terreau à Orban en Hongrie et au PiS en Pologne et explique leur attitude face à l’Europe et à la crise migratoire des années 2010.
Une thèse pertinente ?
La thèse de Roman Krakovsky est bien construite et séduisante. On soulèvera pourtant certaines objections. Par exemple, il ne faut pas surestimer l’influence de ce qu’on a appelé le « populisme russe » en Europe de l’Est, particulièrement sur les partis paysans et agrariens. Roman Krakovsky a raison de rappeler certaines trajectoires individuelles mais il ne faut pas surestimer leur impact. De plus, Krakovsky semble indiquer que les régimes communistes possédait des tendances populistes, ce qui soulève des problèmes d’interprétation : le communisme pouvait utiliser des tactiques empruntés à des partis populistes mais le communisme n’est pas intrinsèquement un populisme.
Concept « attrape-tout », mot « valise », le populisme est, reconnaissons-le, un objet politique difficile à analyser, mais il faut se garder de tomber dans un piège téléologique.
D’autre part, notre historien minore les problèmes posés par l’intégration européenne : on ne peut évacuer d’un revers de main la souveraineté d’Etats émancipés de la tutelle soviétique depuis à peine trente ans ! Plus profondément, le populisme est-européen, dans ses ressorts, parait avoir bien des points communs avec ses homologues sud-américains ou États-uniens : rôle central du leader, exaltation de la majorité, rejet des élites (ici « européanisées » ou « mondialistes » : pensons aux attaques contre George Soros).
Le débat est lancé.
Sylvain Bonnet
Roman Krakovsky, Le Populisme en Europe centrale et orientale, préface de Jean-Louis Fabiani, Fayard, septembre 2019, 350 pages, 22 eur