Une tombe pour deux, mystification
Auteur de Serena (Le Masque, 2011) et de Plus bas dans la vallée (Gallimard, 2019), Ron Rash s’est imposé comme un des écrivains américains les plus intéressants de sa génération, entre chronique sociale et roman noir. Une tombe pour deux nous transporte à l’époque de la guerre de Corée et propose une histoire pleine de blessures familiales.
Familles et mensonges
« Jacob était de faction, posté au bord d’une rivière séparant les deux armées. La nuit était plus froide que toutes celles qu’il avait connues chez lui, dans le comté de Watauga. Ce froid faisait plus que s’insinuer sous la peau. Il enfermait les doigts et les pieds dans une gangue de fer, faisait cliqueter les dents comme du verre sur le point de se briser. »

Voici Jacob Hampton, jeune soldat américain appelé à se battre en Corée au début des années cinquante. Il a laissé derrière lui ses parents, les Hampton, propriétaires de terrains et de magasins à Blowing Rock en Caroline du nord. Après le décès de ses sœurs, Jacob est demeuré leur seul enfant. Mais Jacob les a décontenancés en devenant l’ami de Blackburn, un jeune croque-mort défiguré à cause de la polio. Et surtout, il y a Naomi. Elle est belle, elle est amoureuse de Jacob et lui aussi. C’est cet amour naturel que tous cherchent. Mais Naomi est fille d’un paysan pauvre, les Hampton désapprouvent leur union. Tandis que Jacob se bat, Naomi est enceinte au pays. Pour se débarrasser d’elle, les Hampton font croire à la mort de Jacob et donnent au père de Naomi une forte somme d’argent pour emmener sa fille loin de Blowing Rock. Et quand Jacob revient, ils lui font croire que Naomi est morte en couches avec le bébé. Mais les mensonges ne durent qu’un temps…
Un roman diabolique
Ron Rash réussit avec Une tombe pour deux un roman au timing parfait dans sa construction : tout se met en place très vite pour que les Hampton réussissent leur machination, jusqu’au moment où… intéressant de voir comment des parents mêlent leurs préjugés et le souci de protéger leur fils. Leur échec final a quelque chose de poignant. Notons aussi le soin pris par Ron Rash pour décrire sans caricaturer la vie de ces petites bourgades américaines aperçues dans tant de films. Très réussi donc.
Sylvain Bonnet
Ron Rash, Une tombe pour deux, traduit de l’anglais par Isabelle Reinharez, Gallimard « La Noire », octobre 2024, 304 pages, 20 euros