Tuer ou laisser vivre,  Israël et la morale de la guerre

Politiste, Samy Cohen a consacré de nombreux ouvrages à Israël : citons notamment Israël et ses colombes : enquête sur le camp de la paix (Gallimard, 2016) et Israël, une démocratie fragile (Fayard, 2021). Il vient de publier, au moment où la guerre à Gaza reprend, Tuer ou laisser vivre chez Flammarion.

« L’armée la plus morale au monde » ?

Commençons par indiquer que Tsahal, l’armée israélienne, est la meilleure armée du Proche-Orient sur un plan tactique et militaire. Son rapport à la morale se pose lorsque, depuis l’échec du processus de paix en 2000, elle est amenée à intervenir dans les territoires occupés ou au Liban. Chacune de ses interventions étant scandées par des enquêtes, des rapports, des signalements sur des crimes de guerre. Or, ce n’est pas nouveau. Samy Cohen rappelle que, lors de la guerre de 1948, la Haganah a commis des crimes de guerre sur des civils palestiniens (et les forces armées arabes en ont commis aussi, rappelons-le). Samy Cohen le décrit bien. Par contre, les choses changent après la guerre du Kippour et surtout l’opération Paix en Galilée, montée par Ariel Sharon, où Tsahal laissa les phalangistes massacrer des Palestiniens à Sabra et Chatila (certains militaires israéliens auraient été impliqués). Lors de la première Intifada, les officiers sont majoritaires pour réclamer une solution politique, à un moment où de nombreuses ONG israéliennes se sont constituées et documentent l’occupation. Des soldats refusent de servir en Cisjordanie, l’objection de conscience se répand. Parti de très loin, on peut dire que Tsahal a rattrapé son retard, se dotant d’un code de déontologie. Mais tout se dégrade après l’échec du processus de paix.

L’indifférence à l’autre

Il est difficile pour une armée dans un pays démocratique de faire face au terrorisme, surtout lorsque les attentats se multiplient : c’est la situation d’Israël à partir de 2001 lors de la seconde Intifada, déclenchée par les Palestiniens avec un très mauvais jugement sur la société israélienne : ils estimaient que celle-ci craquerait. Les soldats de Tsahal vont de plus en plus commettre des bavures : des Palestiniens à terre abattus ou qui servent de boucliers humains, des actes de torture. Pour autant, il ne s’agit pas d’une doctrine. Beaucoup de choses dépendent de l’officier commandant et du terrain. Reste que la société israélienne bascule à droite, cesse de voir dans les Palestiniens des partenaires et adopte des discours de plus en plus revanchards, violents. Puis Tsahal commence à intervenir à Gaza, à se battre en milieu urbain face à un Hamas rompu à l’exercice. Dès que des soldats dérapent, commettent des crimes, la hiérarchie hésite. Peu sont condamnés. Pour autant, Tsahal n’a rien à voir avec une armée russe qui, en Tchétchénie, s’est rendue coupables de massacres à une échelle incomparable…

Le jour d’après

A partir du pogrom du 7 octobre 2023, la situation s’hystérise. Une fois l’intervention à Gaza, les bavures et ce qu’on pourrait appeler des crimes de guerre se multiplient. Est-ce la norme en temps de guerre ? Le problème selon moi est surtout politique. S’il s’agit d’opérer à un déplacement de population comme l’indiquent les ministres d’extrême-droite Smotrich et Ben-Gvir, on peut dire qu’Israël et son armée auront franchi un palier. L’état-major de Tsahal se montre jusqu’ici soucieux de l’image international du pays et d’éventuelles condamnations surtout aux Etats-Unis. Jusqu’à quand ? En tout cas, cet ouvrage de Samy Cohen invite à la réflexion. Reste que la morale et la guerre ne feront jamais bon ménage…

Sylvain Bonnet

Samy Cohen, Tuer ou laisser vivre, Flammarion, avril 2025, 363 pages, 22 euros

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