Sauver l’empire, Napoléon ou la démesure en action

Archiviste paléographe, spécialiste de l’histoire du dix-neuvième siècle et auteur de La famille royale au temple (Perrin, 2019) et d’une intéressante Histoire des cent jours (Perrin, 2021), Charles-Eloi Vial revient ici avec un ouvrage consacré aux évènements de l’année 1813, celle où Napoléon a tenté de sauver son empire, aux prix d’efforts démesurés et finalement vains. Pourquoi ?

Un sursaut inespéré

Après la retraite de Russie et des pertes en hommes considérables, on aurait pu imaginer que l’empire de Napoléon ne tiendrait plus que quelques mois. Il n’en est rien. Revenu à Paris, Napoléon ramène le calme après la tentative de coup d’état du général Malet, reprend en main son empire et prépare de nouvelles levées. Et le résultat, les archives et les mémoires le montrent, est là. Napoléon construit une nouvelle armée, formée de jeunes recrues (les « Marie-Louise ») et de troupes prélevées en Espagne ou dans les dépôts. Arrivé en Allemagne, il bat nettement les alliés (russes et prussiens) à Lützen et Bautzen, le manque de cavalerie l’empêchant de transformer ses victoires en triomphes. Pour gagner du temps, conscient aussi que l’opinion veut la paix et pour donner le change, Napoléon obtient un armistice.

Un empereur déboussolé

Et là le drame (parce qu’il y a drame) commence. Napoléon sait la confédération du Rhin chancelante et surtout il voit l’Autriche hésiter entre la neutralité et l’alliance avec Alexandre de Russie. Il commence par infliger une algarade de plusieurs heures à Metternich, chancelier autrichien, qui en ressort mortifié. Puis il y a nouvelle de la défaite de Vitoria en Espagne qui redonne de l’allant aux coalisés. Le congrès qui s’ouvre à Prague est un dialogue de sourd. L’Autriche veut alors ramener la France à ses frontières de 1805 (incluant la Belgique et la rive gauche du Rhin) avec le soutien mou des Russes et des Prussiens : Napoléon refuse, se braque, persuadé de se refaire après deux victoires. Brutal, il est incapable de comprendre les subtilités de la négociation diplomatique, préfère la force de la guerre à l’équilibre entre puissances : il lui manque Talleyrand…

Napoléon se mure en fait dans ses certitudes, peut-être plus atteint qu’on ne croit par son échec en Russie. Il est souvent prostré, parfois mutique dans des moments cruciaux. La suite on la connaît : la défaite de Leipzig, la fin de l’Allemagne napoléonienne, l’arrivée des coalisés aux frontières de l’ancienne France (dans les limites de 1790) … il est dommage qu’il n’ait pas su voir les divergences entre les alliés, une occasion perdue pour la France. Il n’empêche que l’Europe moderne naît aussi de ce désastre.

Se dégage de ce livre magnifiquement écrit l’image d’un homme de génie atteint par l’hubris des Grecs anciens… Magistral.

Sylvain Bonnet

Charles-Eloi Vial, Sauver l’empire, 1813 : la fin de l’Europe napoléonienne, Perrin, février 2023, 416 pages, 25 euros

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