Scipion l’Africain, le prototype du grand homme à la romaine

Un personnage oublié

Pendant longtemps, Scipion l’Africain faisait partie des figures étudiées au collège et au lycée, en partie grâce aux cours de Latin. Comme les humanités d’avant, Scipion a maintenant pratiquement disparu de l’imaginaire collectif… Alors qu’il joua un rôle crucial dans la naissance de l’impérialisme romain et la victoire contre le plus grand ennemi de Rome, le carthaginois Hannibal. Laurent Gohary, chargé de cours en histoire ancienne à Paris I – Panthéon, nous donne ici sa biographie.

Un aristocrate novateur

Publius Cornelius Scipio est issu d’une vieille et puissante famille aristocratique romaine, les Cornelii. L’éducation qu’il reçoit est à la fois romaine et grecque, pétri de traditions et ouvert à l’hellénisme (souvenons-nous du livre de Pierre Grimal, Le siècle des Scipions, qui analysait l’arrivée de la culture grecque à Rome aux IIIe et IIe siècles). Scipion est préparé pour une vie à la fois politique et militaire. Mais son itinéraire croise celui d’Hannibal qui, dans les années 210, va semer la terreur à Rome en battant les armées romaines, de façon éclatante à Cannes. Sa tactique ? L’enveloppement par les ailes. À chaque fois, Hannibal gagne. Rescapé de la bataille de Cannes, Scipion perd aussi son père et son oncle en Espagne. Mais il a observé la tactique carthaginoise, étudié Hannibal, qu’il a dû se surprendre à admirer… Il arrache au Sénat des magistratures et des commandements, part en Espagne où il conquiert les colonies carthaginoises. Diplomate, il réussit à détacher les numides d’Afrique du nord de l’alliance avec les puniques… Et à Zama, enfin, il se mesure à Hannibal et gagne.

Le premier des Imperatores

À Zama, Scipion a réemployé beaucoup des survivants de Cannes, qu’il installe ensuite comme paysans en Italie, une clientèle qu’il saura toujours ménager et protéger. Il négocie aussi une paix léonine avec le sénat carthaginois, qui enrichit Rome… et lui-même. Scipion respecte encore la tradition mais on sent dans son comportement bien des traits des futurs chefs de guerre des IIe et Ier siècles avant notre ère. Ambitieux, voulant imiter Alexandre le grand, il se comporte en Afrique puis en Asie face au Séleucide Antiochos III avec beaucoup d’indépendance par rapport au Sénat. Fin diplomate, il contribue à installer la prééminence romaine dans le bassin méditerranéen. Mais son frère doit affronter un procès, Caton le vilipende et Scipion se retire, victime d’une santé chancelante. Il meurt en laissant Rome plus puissante qu’elle ne l’était à sa naissance. Cette biographie alerte rend bien compte de son itinéraire, annonciateur de bien d’autres.

Sylvain Bonnet

Laurent Gohary, Scipion l’Africain, préface de Dominique Briquel, Les belles lettres, octobre 2023, 412 pages, 25,90 euros

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