Sentinelle, dans la tête d’un tueur malsain par David Coulon
Le thriller français a tendance a faire la course au gore, en détaillant des scènes de plus en plus dures à lire. Se tenant à distance de cette mode, bien que difficile à lire, David Coulon
Comme. Tout. Le. Monde.
Comment vivre dans ce monde, si même l’amour ne nous sauve pas ?
Le narrateur de Sentinelle, rendu anonyme au possible, vit et travaille dans la métropole. On ne saura rien de lui, sinon qu’il travaille dans un commissariat où il prend des plaintes… et se masturbe, à travers son pantalon, détaille le parcours de ses sécrétions, s’agace de voir son café refroidir, fantasme sur sa collègue et ne pense qu’aux cuisines du restaurant voisin. En dehors de cela, il n’a qu’un souhait : être comme tout le monde. Comme les autres.
Pourtant, une habitude le met quand même à part : il mange des fœtus. Il les cuisine, en a rempli un livre de recettes — fœtus à l’ail, tarama de fœtus… —, et peut aussi le dévorer cru. Reste qu’un fœtus n’est pas la chose la plus simple à obtenir. Ah, pourtant il s’est délecté d’un très grand nombre. Il suffit de suivre une femme enceinte, et de le lui prélever. Pour lui, c’est un acte bénéfique, le petite ne souffrira jamais et ne criera pas à la naissance, il lui évite cela.
La police n’a pas de piste, car il est extrêmement méticuleux, et son mode opératoire implique une préparation stricte. Mais est-ce la folie qui le gagne petit à petit ou l’étau qui se resserre autour de lui ?
L’art du glauque
Glauque : Louche et sordide, sinistre. Cette définition correspond parfaitement à l’ambiance de Sentinelle. C’est triste et malsain à la fois, ça tire sur l’oppressant. Pourtant les scènes d’éventration ou les repas de foetus ne sont pas décrits avec les petites précisions qui font le gore. David Coulon parvient à impliquer son lecteur dans l’aventure de son monstre, à faire qu’on se glisse dans sa tête et qu’on ressente avec lui ses pulsions, mais aussi ses craintes et ses doutes. Ses fantasmes aussi. Pire que tout, ses fantasmes. Et ce qu’il se retient de faire est tellement plus sale que ce qu’il commet sans le moindre tremblement moral.
Cette réussite d’écriture est impressionnante. David Coulon pose avec Sentinelle — dont on comprend le titre au fil de la lecture — un roman à part, inclassable et glaçant, qui ne se lit pas sans dérangement, mais qu’on poursuit quand même. Et on ira jusqu’au bout de cette pure folie. A ne pas mettre entre toutes les mains, l’avertissement de l’éditeur n’est pas exagéré :
Ce roman est d’une très grande violence. Il est strictement réservé à un public averti. Âmes sensibles, passez votre chemin.
Sentinelle est au thriller contemporain ce qu’Alien est à Massacre à la tronçonneuse, une chose malsaine qui se déglutit aussi difficilement qu’une poignée de colle, et qui vous habite longtemps. Qui vous habite. Qui vous hante. Parce que ce tueur est comme tous les autres. Il. Est. Chacun. De. Nous.
Loïc Di Stefano
David Coulon, Sentinelle, Magnus, avril 2023, 215 pages, 21 euros