L’homme au corbeau, Masahisa Fukase : un roman de Sophie Gallé-Soas
Un artiste méconnu
Dans ce petit livre, Sophie Gallé-Soas tire le portait d’un photographe : Masahisa Fukase est ignoré du grand public, bien qu’il ait connu les honneurs du MoMA et que ses tirages comptent parmi les plus chers sur le marché de la photographie japonaise contemporaine.
Sophie Gallé-Soas, quant à elle, est journaliste, traductrice, céramiste, c’est son premier roman, publié dans une collection nommée « la rencontre ». En effet c’en fut une. Assez forte pour que notre auteur prenne la place de Fukase pour raconter sa vie à la première personne. La fin de sa vie : il a cinquante sept ans, il ne sait pas encore qu’il touche à sa fin. Est-ce pourquoi il s’est pris d’amour pour les corbeaux qui, comme chacun sait, annoncent un mauvais présage ?
La potion magique
Masahisa Fukase a bu sa potion magique dès son enfance, à huit ans il aidait déjà son père dans son studio de photographie, suivant ainsi les pas de son grand-père… Il était destiné à leur succéder, il a préféré quitter son île d’Hokkaido pour la grande ville…
Sa vie se résume à sa folie des photos. Une folie créatrice qui occupe sa vie au détriment… de la vie. Certains artistes connaissent ce destin, peut-être la plupart ? Fukase voit le monde à travers sa prothèse, son œil c’est son objectif. Il a ainsi épuisé ses deux compagnes à force de les mettre dans sa boite… Il se rabat donc sur ses chats et, à la fin, peu avant sa fin, sur les corbeaux, dont on sait la funeste symbolique : on les dit annonciateurs de mauvaise nouvelle, ils peuvent nous transporter de la terre au ciel… Comme tout véritable créateur, il dépasse ce qui est convenu, c’est-à-dire ses apprentissages et les doxa qu’on lui a enseignées. Plus il avance en âge plus il cherche ailleurs. Sans jamais tomber dans le jeu de la transgression auquel, bien paradoxalement, tout artiste contemporain se doit d’obéir… Voilà ce que l’auteur nous fait bien ressentir.
Le livre est illustré de neuf photos qui nous donnent un avant-goût de son œuvre. Notamment une photo de sa famille où Yoko, sa compagne d’alors, pose les seins nus…
À l’âge de cinquante huit ans, suite à une mauvaise chute, et à l’obstination des médecins, il restera dans le coma pendant vingt ans. Vingt ans pendant lesquels Yoko, son ancienne égérie, viendra le visiter.
Mathias Lair
Sophie Gallé-Soas, L’homme au corbeau, Masahisa Fukase, Arléa, 11août 2024, 109 pages, 20 euros