Les Derniers : rencontres avec les survivants des camps de concentration
La mémoire, ce sont d’abord des femmes et des hommes qui la transmettent. Par leurs expériences, par leur force de vie, par le courage de dire. Certains n’ont pas pu regarder le Mal en face, ont préférer le taire ou l’oublier, d’autres ont estimé qu’il fallait survivre encore et dans les mots. C’est le projet de Sophie Nahum et du recueil de témoignages Les Derniers.

Survivre
Pour raconter, il faut pouvoir survire. Vivre après. Vivre, encore. Et trouver la force en soi de re-vivre l’expérience traumatisante par la parole. C’est pourquoi beaucoup ne peuvent pas parler. Sophie Nahum a su convaincre les survivants des camps de concentration de livrer ces témoignages forts, malgré la souffrance (« Quand les souvenirs me reviennent, c’est comme si on me tirait dessus. »)
Ce sont des textes courts, et touchants, qui n’imposent rien sinon la force des images qui passent dans l’esprit du lecteur quand, avec des mots simples et parfois retenus depuis des dizaines d’années, les derniers survivants des camps de concentrations nazis disent ce qu’ils ont vécu. Classés par thèmes (Le basculement, l’arrestation, l’arrivée au camp, le quotidien, les marches de la mort, la libération, survivre, parler ?, plus jamais ça ?), ils témoignent de chaque de cette « vie » dont seulement 2 % des déportés sont revenus. Mais sont-ils revenus comme étant eux-même ?
Un documentaire pour la mémoire de l’humanité
À Auschwitz, le deuxième ou troisième jour, j’ai demandé à un autre déporté : « Quand est-ce que je vais revoir mes parents ? « Il m’a répondu : « Tes parents ?. Mais ils avaient quel âge tes parents ? » J’ai dit, au présent : « Mon père a 65 ans et ma mère 57. » Alors il m’a regardé, a levé le bras et il a répondu : « Tu vois la fumée qui sort de la cheminée ? Tes parents sont là-bas, partis en fumée. »
Le livres est très largement illustré, des portraits d’époque ou contemporains, sur place ou dans le calme des vies d’après. Les sourires sont d’une force incroyable et émeuvent, presque plus que les larmes, pour ce qu’ils portent de force. La vie de chaque « dernier », dont Ginette Kolinka dont on sait l’engagement mémoriel, est racontée en fin de volume.
Les Derniers : Rencontres avec les survivants des camps de concentration est un travail remarquable de simplicité et de force. Il n’y a pas de grande démonstration, ni d’effets de manche. Il y a des gens simples qui parlent avec des mots simples de l’expérience hors l’Humanité qu’ils ont vécue. Cette simplicité apparente n’enlève rien pas la pesanteur des récits et des images. Elle ajoute du vivant à l’effroi, et c’est pour cette raison, aussi, que c’est un travail remarquable de transmission, qu’un des Derniers résume avec ces mots : « Vous allez devenir le témoin du témoin que je suis, c’est un rôle très important. »
Loïc Di Stefano
Sophie Nahum, Les Derniers : Rencontres avec les survivants des camps de concentration, J’ai lu, janvier 2025, 288 pages, 7,90 euros