Histoire des Cent-Jours, la France fracturée
L’énigme de 1815
Conservateur des bibliothèques et secrétaire général de l’institut Napoléon depuis 2018, Charles-Eloi Vial est l’auteur d’une excellente biographie de Marie-Louise (Perrin, 2017) et de La Famille royale au temple (Perrin, 2018). On lui doit également un ouvrage passionnant sur l’année 1811, 15 août 1811 : l’apogée de l’Empire (Perrin, 2019). A l’occasion du bicentenaire de la mort de Napoléon, il publie une histoire des Cent-Jours qui vient après celles de Thierry Lentz et d’Emmanuel de Waresquiel, Les Cent-Jours : la tentation de l’impossible (Fayard, 2008). Que nous apporte donc ce livre sur un sujet déjà bien étudié depuis deux siècles ? Comment comprendre ce moment de l’histoire où toute une société a été bousculée, où le gouvernement passe de Louis XVIII à Napoléon et de Napoléon à Louis XVIII ?
Un exploit sans lendemain
Beaucoup d’historiens ont glosé sur l’échec de la Restauration, sur le retour insupportable pour beaucoup des émigrés et de leurs prétentions, de la rancune des officiers en demi-solde et du mécontentement populaire (dans certaines régions). Rien ne permet en tout cas de comprendre les Cent-Jours si on n’a pas en tête l’exploit de Napoléon. Il réussit en mars 1815 à s’emparer d’un pays pratiquement sans effusion de sang. C’est inouï dans l’histoire !
Pourtant, cet exploit contient en lui-même les germes de son échec. L’Empereur suscite l’hostilité de l’Europe (il n’a pas le soutien de son beau-père l’empereur d’Autriche comme il l’a laissé entendre), qui prépare la guerre, et les élites dont il recherche le soutien le fuient malgré l’acte additionnel de l’Empire (rédigé par Benjamin Constant) censé réformer dans un sens libéral le pays sur le modèle… de la charte. Pire : les élections lui donnent une majorité libérale (résultat concocté par l’inusable Fouché) dans une assemblée ingouvernable. Napoléon était condamné à chercher des victoires extérieures pour asseoir un pouvoir dont Waterloo sonna le glas. La légende par contre venait de naître.
Une société en ébullition
La France sort des Cent-Jours affaiblie, divisée, occupée. Le souvenir de la période et des changements d’allégeance de beaucoup (songeons au dictionnaire des girouettes) affaiblit la société et nourrit la politique des trente années suivantes. Songeons à la révolution de 1830 et au surnom du gouvernement du prince de Polignac qui publia les fameuses ordonnances : Coblence, Waterloo, 1815 qui signifiait émigration, trahison, répression pour l’opposition libérale. Tous les efforts de Louis XVIII, prince beaucoup plus intelligent qu’on ne le croit, ne suffiront pas à résorber les fractures d’une société instable malgré les institutions léguées par Napoléon. Notre modernité est peut-être issue de ce moment de l’année de 1815 qui fascina Aragon autrefois.
Histoire des Cent-Jours est un très bon ouvrage de Charles-Éloi Vial qui possède un don rare : bien écrire l’histoire.
Sylvain Bonnet
Charles-Éloi Vial, Histoire des Cent-Jours, Perrin, février 2021, 672 pages, 27 eur