Spike Lee, un cinéaste controversé

ASpike Lee est un cinéaste militant. Il est dommage que l’on se focalise trop sur son militantisme au détriment de ses qualités de cinéaste. Car, tout au long de sa carrière, il a prouvé ses capacités. Il a alterné les genres tout en se révélant capable d’assumer des lourdes productions (à plusieurs dizaines de millions de dollars) aussi bien que des films fauchés. Au passage, il a signé quelques œuvres majeures dont Malcolm X (qu’il faudrait présenter aux politiciens du monde entier pour qu’ils découvrent la signification du terme engagement politique), La 25e heure (à ne pas confondre avec le film homonyme d’Henri Verneuil !), Inside Man et le récent (et oscarisé) Black Klankkklansman. Son talent et sa force de conviction ont — ce que souligne très bien Spike Lee, un cinéaste controversé, — ouvert la voie à toute une génération de cinéastes noirs qui, sans lui, auraient sans doute continué à galérer.

Bien sûr, Spike Lee est un provocateur. Défendant bec et ongles la cause noire. Il estime que les actes en faveur de sa communauté sont toujours trop timorés et les films traitant du problème trop condescendants. Il provoque pour que ça bouge et pour que l’on n’oublie jamais que dans la belle Amérique les Noirs n’ont jamais bénéficié des mêmes avantages que les blancs.

une filmographie impeccable

Mais ce qui compte avant tout ce sont ses films. Et Régis Dubois nous y ramène avec justesse. Il reprend le parcours de Spike Lee étape par étape, c’est-à-dire œuvre après œuvre. Là où d’autres seraient tombés dans l’analyse fumeuse, lui préfère l’efficacité. Pas de mots savants, pas de phrases alambiquées, pas de conclusions intellectuelles. Il raconte avec précision la genèse, les conditions de tournage, l’impact, la carrière et, bien sûr, les réactions engendrées. C’est clair, précis, et bien documenté.

De la sorte, on comprend mieux l’importance de Lee. Dès son premier coup, Nola Darling n’en fait qu’à sa tête, il a frappé fort. On s’en est peu rendu compte dans la vieille Europe mais du côté de l’oncle Sam ça a bougé, ça a fait grincer des dents, ça a énervé les bien-pensants. 

La réception française

En France, donc, la critique s’est trop intéressée au fond et non à la forme. Oubliant de dire si les films de Spike Lee étaient bons ou non, les plumitifs se sont évertués à décortiquer ses intentions, comme s’ils étaient habilités à juger de la cause noire américaine. Comportement qui a un peu rebuté le public. Si l’on ne s’étonne pas que l’un des plus grand succès de Lee dans l’Hexagone soit un produit formaté hollywoodien (Inside Man — dont je vous déconseille fortement de visionner la « suite » dans laquelle Spike ne fut impliqué en aucune manière), si l’on apprécie que Black Klankkksman ait réuni plus d’un million de spectateurs (1 305 781), l’on peut regretter que les autres n’aient jamais franchi la barre des 600 000 entrées et même se soient trop souvent contentés de beaucoup moins.

A ce sujet, une petite remarque : par facilité, Régis Dubois met face à face des chiffres trompeurs. Dire, par exemple, qu’un film de 20 millions de dollars est rentré dans ses frais parce qu’il en a rapporté 25 au box-office est totalement faux. Hélas pour les producteurs, la totalité du billet de cinéma ne rentre pas dans son escarcelle. Il faut retirer la part de la salle du cinéma, du distributeur, des impôts et tutti quanti. Si vous avez déboursé 20 millions, il est préférable que votre film en encaisse 60 !

Au coeur du travail de Spike Lee

Revenons au livre (on n’est pas ici pour gloser). C’est un produit efficace, bien construit, qui met en valeur le travail d’un cinéaste audacieux. Je regrette seulement que certaines œuvres soient trop rapidement traitées. Mais dans l’ensemble on se retrouve au cœur du sujet donc au cœur du travail d’un personnage hors-norme. Au passage — et c’est tout aussi intéressant — Régis Dubois retrace l’évolution du cinéma noir américain. Il nous rappelle qu’après la courte période faussement dorée de la blackploitation, le genre s’est à nouveau retrouvé confiné. Même si, dans le même temps, certains acteurs noirs atteignaient les têtes d’affiche non sans conditions (l’analyse d’un Eddie Murphy asexué dans la série Flic de Beverly Hills est tout à fait pertinente).

Un vrai livre de cinéma (en aucun cas une biographie puisque la vie privée de Spike n’est traitée qu’à travers ses films) qui a le mérite d’être clair. Ce n’est pas si fréquent !

Philippe Durant

Régis Dubois, Spike Lee, un cinéaste controversé, préface de Jean-Claude Barny, Lettmotif, 30 photos NB, août 2019, 163 pages, 22 eur

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