Star Wars, une réflexion profonde sur la notion de République

C’est entendu : oncle Walt a tué Star Wars. En sortant un film par an, faisant alterner sans relâche nouvelle trilogie et spin-off, en éclairant les moindres parcelles d’ombre de l’univers de George Lucas (comment les plans de l’Etoile noire ont-ils été dérobés ? quels ont été les débuts de Han Solo ? etc.), bref en exploitant le filon de manière éhontée, la firme Disney a brisé tout mystère et toute magie. 

Dans ce monde bassement mercantile, il est bon de revenir à une certaine virginité, à ce beau moment, au milieu des années soixante-dix, où un jeune homme mal dans sa peau (Lucas) luttait contre vents et marées pour construire son rêve : offrir au public un nouveau mythe. 

C’est le credo qu’a choisi l’universitaire Will Brooker dans cette petite monographie d’une grande clarté, consacrée uniquement au premier Star Wars (1977), et faisant partie de la collection British Film Institute/Akileos sur les classiques populaires. L’auteur fait abstraction du commerce et considère George Lucas pour ce qu’il est : un véritable auteur. Il se démarque ainsi de ses collègues anglo-saxons en analysant, non pas le merchandising ou la mythologie Star Wars, mais la mise en scène de George Lucas, son écriture filmique, son montage. L’équivalent de ce qu’a pu faire en France l’universitaire Pierre Berthomieu. 

 

 

Pour ce faire, Brooker revient en détail sur les années de formation de Lucas à l’USC (University of South California), quand ce dernier était l’étudiant le plus brillant de sa promotion, réalisant de formidables courts-métrages moitié fictifs, moitié documentaires, au montage audio-visuel expérimental, sur une thématique qui l’obsédera toute sa vie : l’emprise du mécanique sur le vivant, la perte de l’innocence face à l’impérialisme (on est alors en pleine contestation de la guerre du Vietnam), la peur de l’Etat-policier. Brooker démontre avec aisance que, formellement, thématiquement, Star Wars n’est ni plus ni moins qu’une nouvelle version de THX1138 (1971). 

Selon l’auteur, sous couvert d’un film pour enfants, Lucas livre en réalité une réflexion profonde sur la notion de République, qu’il poursuivra et éclaircira dans la prélogie : la République (autrement dit la démocratie, les Lumières), en péchant par arrogance, porte en elle les germes de sa propre destruction, les germes de l’impérialisme et de la dictature. Ce que nous a prouvé amplement l’Histoire moderne ou, plus loin dans le temps, la Rome antique. 

 

 

Ainsi, malgré leur aspect débraillé et sympathique, malgré leurs bases faites de bric et de broc s’opposant apparemment à l’ordre strict de l’Empire, les Rebelles de l’Alliance veulent, in fine, restaurer l’ordre de l’Ancienne République, avec son apparat impeccable et ses Jedi policés (et policiers). Ce qui provoquera à nouveau l’arrogance et donc, à nouveau, la tentation d’un régime autoritaire et inique pour éviter le désordre. Cycle sans fin, qui est, on l’aura compris, le nôtre… 

Seul bémol de cette analyse réussie : dans son souci de décortiquer l’originalité, la subtilité et la force de l’écriture filmique de Lucas, Brooker oublie bizarrement de citer, même une seule fois, le travail sensationnel de John Williams, qui n’est pas pour rien dans la fluidité et puissance de l’ensemble. Lucas lui-même a avoué que Williams a « sauvé » son film, qui était sans cela un peu morne et mécanique. Du reste, cette musique n’était pas uniquement un « cache-misère » : en faisant référence aux grandes symphonies du XIXe siècle, Williams établissait un lien profond avec le siècle de l’impérialisme européen. Il y aurait eu peut-être, sur ce plan, une belle piste à explorer.

 

Claude Monnier

Will Brooker, Star Wars, traduit de l’anglais par Diane Ranville, éditions Akileos, collection « BFI : les classiques du cinéma », octobre 2017, 96 pages, 11,90 euros

Laisser un commentaire