Pourquoi notre cerveau a inventé le bien et le mal : vraiment ?

Voilà la bonne nouvelle : puisque « toutes nos pensées, toute notre activité mentale est produite par notre cerveau », la morale est un processus physico-chimique, comme n’importe quel autre phénomène. Pour ceux qui en douteraient, l’auteur ajoute un comminatoire : « vous ne pouvez y échapper ! ». Puisque on ne peut plus penser que corps et esprit soient deux entités distinctes, la morale ne peut faire exception.

Quand scientisme rime avec simplisme

Le raisonnement apparemment rationnel de l’auteur est le suivant : on ne peut pas distinguer l’esprit du corps, donc tout est corporel… alors que la pure logique pourrait aussi bien en tirer la conclusion contraire : donc tout est spirituel. Ou les deux… L’auteur nous répondra que c’est notre cerveau qui pense, la preuve : quand on imagine un chat, ou une chatte, les circuits neuronaux de notre cerveau sont tout électrisés, c’est prouvé expérimentalement ! Il oublie qu’au même moment notre rythme cardiaque s’agite, notre activité électrodermale sue sang et eau, nos hormones, adrénaline sérotonine et mélatonine, font des bonds… Nous penserions donc aussi avec notre cœur, notre peau, nos glandes ?

Donc : ce n’est pas parce que le cerveau connait une activité électrique qu’il produirait de la pensée. On peut juste affirmer qu’au moment où l’on pense le cerveau présente une activité électrique. À moins de sombrer dans un raisonnement qui ne présente de logique que l’apparence. Exemple : si on enlève les bougies du moteur d’une automobile, celle-ci n’avance plus. Donc ce sont les bougies qui produiraient le mouvement…

Notre docteur en neurobiologie se déclare naturaliste, « il ne s’en laisse pas conter », déclare-t-il : si « la morale a des bases génétiques, c’est qu’il existerait dans la tête des humains un algorithme spécialisé pour produire des jugements moraux ». Il est vrai, le mot algorithme est joli, son aura technologique, et informatique, lui confère un sérieux sans égal, Stéphane Debove en fait donc un « concept » … Voilà ce qu’en dit Gérard Berry, chercheur en science informatique : « Un algorithme, c’est tout simplement une façon de décrire dans ses moindres détails comment procéder pour faire quelque chose ». Une recette de cuisine est un algorithme…  

Notre cerveau serait donc doté d’une recette, d’une procédure produisant du sens moral, que notre neuroscientiste baptise « algorithme cognitif universel » … On y injecte des informations qui peuvent varier d’une culture à l’autre, d’une personne à l’autre, il en ressort un jugement moral… lequel fonctionnerait sur le mode de l’économie “néolibérale” :

« La fonction du sens moral est de permettre de rembourser aux autres les coûts d’opportunité qu’ils payent quand ils coopèrent avec nous, et d’éviter les partenaires qui ne remboursent pas nos propres coûts ».

Un influenceur scientifique…

Stéphane Debove revendique quelque part la multidisciplinarité, celle-ci n’a de sens que lorsqu’elle ne sombre pas, comme ici, dans un bricolage théorico-théorique. Le ton du livre, souvent plaisant, même si racoleur, tient sans doute au fait que notre docteur en sciences cognitives est aussi, sur les réseaux sociaux, un influenceur. Il présente en effet toutes les caractéristiques d’un publiciste. Son livre est l’adaptation d’une série de vidéos qu’ils a publiées sur YouTube. Annonce-t-il une nouvelle race de « savants » positivistes que le scientisme de combat n’effraierait plus ?

 Jean-Claude Liaudet

Stéphane Debove, Pourquoi notre cerveau a inventé le bien et le mal, Alpha, mai 2024, 320 pages, 11 euros

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