Sur la route avec Jackson, mélodie sanglante

Villard trace son sillon…

Marc Villard publie depuis les années 70 et est venu progressivement au roman noir, d’abord par le roman : citons Corvette de nuit (Série noire, 1980), Ballon mort (Série noire, 1984) ou La Dame est une traînée (Série noire, 1989). Cependant, c’est dans le récit court, nouvelle ou novella, qu’il va découvrir sa voie, comme un jazzman qui qui excellerait dans les ballades (comme John Coltrane, souvenons-nous de My favorite things). Ainsi on lui doit Rouge est ma couleur (Rivages, 1996), Gangsta rap (Série noire, 2000), sans compter les recueils avec Jean-Bernard Pouy : Ping-pong (Rivages, 2005), Tohu-bohu (Rivages, 2008) ou Zigzag (Rivages, 2010). Il publie ici chez Cohen & Cohen Sur la route avec Jackson, un roman court où plane l’ombre de Jackson Pollock.

 

Les toiles maudites

Jackson Pollock débarque en 1951 dans une réserve navajo. Il veut étudier leur art de la peinture ancestrale au sol. Il passe aussi son temps à boire comme un trou :

 

Deux heures plus tard, Jackon avait dégotté à deux pas du cimetière un refuge idéal nommé l’Eden Bar. Celui-ci accueillait quatre amérindiens, deux blancs et trois métis. Le patron était mi-apache mi-texan et se faisait passer pour mexicain. Jackson avait confisqué une bouteille de Tequila, posée en majesté sur la table. En tenant ses cartes de la main gauche, il pérorait et commentait de grandes figures de la peinture contemporaine dont les buveurs ignoraient tout. Mais ils avaient soif. A vingt-deux heures, il renversa la table en hurlant que tous faisaient la queue pour boire son sang. »

 

Donc Pollock boit et joue. Il a aussi deux toiles à livrer mais le commanditaire est mort. Il s’en sert alors pour rembourser ses dettes de jeu et retourne cuver sur la Côte Est. Cinq ans plus tard, Dan Fraser et sa sœur Patti, accompagnés de leur ami Steve Hammond, cambriolent la banque Camden à Bingham. Ils volent trente mille dollars et deux toiles. Celles de Pollock bien sûr. Leur propriétaire, un riche indien nommé Dee Gorman, lance un tueur japonais nommé Yakusi sur leurs traces. Quant aux voleurs, ils contactent Pollock pour lui revendre les tableaux mais ce dernier est bien trop saoul…

 

De l’art de Villard

En 90 pages, on a un condensé des qualités de l’écriture Villardienne. Goût pour l’efficacité, références au jazz et au rock, un certain humour discret aussi. Sur la route avec Jackon permet aussi de renouer avec une certaine mythologie américaine où certains verront une forme de colonisation culturelle. Pour autant, l’Amérique du jazz, d’Hammett et de Pollock avait plus de classe que celle d’aujourd’hui. Ça se termine mal bien sûr mais on aime, on adore ça. Villard est précieux, on attend la suite.

 

— Tu as ton Walther ? / — J’ai. / — Je n’irai pas en prison, dit-elle, arrachant son pistolet à son cabas. / Puis les Fraser se tournent vers les deux voitures de police, hurlant contre la loi et l’ordre et vidant leurs chargeurs sur les uniformes. »

 

 

 

Sylvain Bonnet

Marc Villard, Sur la route avec Jackson, Cohen & Cohen, octobre 2018, 92 pages, 16 euros

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