La Flamme verte : avis sur les contes des sept jours et sept nuits

Enfermée dans une forteresse nichée au cœur du désert, Nardaneh pénètre dans une chambre où repose un homme destiné à être son époux. Si elle veut le réveiller, elle devra jeûner durant sept jours et sept nuits, extirper autant d’aiguilles de son corps et lire les contes du livre placé à son chevet. Les récits la transporteront à travers les différentes périodes de l’Histoire de l’Iran et l’initieront aux mythes qui bercent la culture locale. Un voyage en pensée bientôt perturbé par l’irruption d’une servante, aux intentions loin d’être nobles.

Poète et réalisateur iranien engagé, Mohammad Resla Aslani n’a jamais bénéficié en Occident, de l’exposition à laquelle ont eu droit certains de ses compatriotes, tels qu’Abbas Kiarostami ou Asghar Farhadi. Pire encore, sa première fiction, L’Échiquier du vent est restée longtemps invisible, la plupart des copies ayant été détruites par le régime politique, car le film contrevenait aux bonnes mœurs… Fort heureusement, ce petit bijou a profité d’une complète restauration il y a quelques années et les cinéphiles ont pu enfin découvrir une œuvre unique, pétrie par le symbolisme un poil maniéré de son auteur.

Et c’est désormais l’autre travail du réalisateur, à savoir La Flamme verte (produit en 2008) qui est mis à disposition de ces mêmes curieux. Sorti de sa quasi-retraite à l’époque, Mohammad Resla Aslani avait proposé cette fois-ci une fable initiatique, déconcertante, très éloignée a priori de la critique bourgeoise de l’Échiquier du vent et pourtant très proche dans sa forme et dans les thématiques abordées. Montage malin à l’appui, le film jouit d’un fil narratif soigné et sophistiqué, que ne renieraient pas les sœurs Wachowski, qui accoucheront quelques années plus tard de Cloud Atlas. De fait, La Flamme verte s’impose davantage comme un objet non identifié qu’un pur produit expérimental, ce qui le rend d’autant plus précieux.

À travers les âges

Pourtant, rien ne prédispose à un tel voyage à travers le temps, puisque l’introduction, très sage, voire convenue, présente un couple à la limite de la rupture, venu chercher réparation au tribunal pour des raisons incongrues (surtout lorsque l’on connaît le sort réservé aux femmes en Iran). Mais le côté justement ubuesque de l’affaire en question permettra d’immerger progressivement le spectateur dans un désert aride, au sein duquel se dresse une étrange fortification qui a bravé les âges, malgré les soubresauts liés à la guerre et aux complots en tout genre.

Et dans ce remous perpétuel, deux époux doivent braver les tempêtes. Mohammad Resla Aslani plante ainsi un décor aux couleurs chatoyantes et alterne les époques par de menus changements, des artifices astucieux se conjuguant à une économie de moyens forcée. Les interprètes endossent le rôle de leurs vies précédentes, dans un festival de saveurs et de tonalités visuelles assez déconcertant. Le récit en huis clos parle de réincarnation et fait voyager l’esprit de sa protagoniste à travers les mots rapportés d’un ouvrage dans la veine des Mille et Une Nuits.

Par conséquent, l’équilibre du long-métrage repose sur l’alternance judicieuse entre moments dans une chambre prison et un semblant de palace. De cette composition tragique, ne ressort victorieuse qu’une reine abîmée par les épreuves et le destin, mais toujours digne dans l’adversité. Le cinéaste profite de son désespoir pour traiter de la ténacité intacte de cette femme et évoque comme dans L’Échiquier du vent, des relations ambiguës entretenues avec sa servante, dans le cadre d’une critique féroce qui s’étend au-delà de la philosophie Hégélienne.

The Servant

Dans sa réflexion, Mohammad Resla Aslani s’affranchit peu à peu de la dialectique du maître et de l’esclave et se rapproche davantage du lien toxique qui unit les personnages du Servant de Joseph Losey. Il n’est plus question d’acquérir sa liberté (un objectif vital dans le pays natal du metteur en scène), mais d’imposer sa volonté, de remplacer l’autre au sommet d’une pseudo hiérarchie même si l’on bafoue les concepts d’honneur et de mérite. Le cinéaste inocule non seulement une once de noirceur dans son film, il injecte aussi un degré de cynisme entre les strates bien établies d’un jeu de pouvoir prédéfini.

Et dans ces eaux troubles, chacune et chacun navigue comme il peut, confronté à la misère, à la solitude, à une fin prochaine. Mohammad Resla Aslani expose à merveille l’infinie tristesse, mais également les mystères d’une foi qui prévaut sur un dogme réducteur puisque dans ces instants, on revient à un credo limpide, dénué des mensonges des prélats, celui d’un humanisme élémentaire, issu des contes d’antan. Réel et mythe se confondent pour préserver la morale et le processus, si complexe à appréhender au dépar,t achève la construction d’un édifice fragile, mais si bien modelé à l’arrivée.

Certes, l’action lente déstabilisera, déconcertera et fera même fuir les plus impatients. Mais les mieux armés découvriront toute la singularité d’un poème incandescent, sa pertinence toujours d’actualité, son héroïne brillant de mille feux et le talent indéniable d’un artiste loin d’être prophète dans sa contrée.

Film iranien de Mohammad Resla Aslani avec Mahtab Keramati, Ezzatollah Mentezami, Mina Vahid. Durée 1h50. 2008. Première sortie française le 27 mars 2024

François Verstraete

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