La gauche n’est pas woke, la grande illusion
« -Au fond, c’est quoi la gauche ?
-L’autre droite, voyons… »
Dialogue entre deux amis
au début des années 2000
Philosophe et enseignante à Yale et à Tel Aviv, Susan Neiman est une spécialiste des Lumières connu pour des essais comme Penser le mal, une autre histoire de la philosophie (Premier parallèle, 2022). La gauche n’est pas woke est sorti en 2023 en anglais, soit avant la victoire de Trump qui, il faut le dire, a changé la donne. On ne donne plus cher de la pensée dite « woke » outre-Atlantique…
L’universalisme avant tout

Susan Neiman ne veut pas que son ouvrage ne soit vu juste comme une charge contre la pensée woke. Soit mais ses premières pages sont tout de même écrites au vitriol, assimilant au fond le wokisme à une espèce de tribalisme, inspiré par des penseurs aussi fumeux que Michel Foucault (je sens que ça va tousser un peu au fond de la salle). Pourquoi pas ? La pensée « woke » associée à la cancel culture a fait du tort au débat critique, on le voit en France avec cet ouvrage dirigé par Pierre Vermeren que les PUF ne veulent plus sortir à cause d’un oukaze de Patrick Boucheron… On peut penser ce qu’on veut de son adversaire mais il faut tout de même avoir le panache de le laisser parler, quitte à la ridiculiser grâce à l’art oratoire, à la rhétorique comme dirait mon défunt père… mais il est vrai que ces machistes grecs et romains sentent le souffre chez les « wokistes » (drôle de substantif !).
Un essai intéressant mais inutile ?
Susan Neiman écrit bien. Son essai se lit avec plaisir mais on en ressort avec une drôle d’impression. Son éloge de l’universalisme sent un peu la naphtaline, sa critique des dérives occidentales que sont l’esclavage ou le colonialisme fait réchauffé. Aucun doute sur le caractère néfaste des deux phénomènes mais le livre rappelle bien des essais sortis dans les années 1980 ou 1990 : rien de nouveau. Quant à croire à l’idée de progrès, cela nécessiterait un long développement et un grand débat sur le hiatus entre le concept et son utilisation. Quant à la gauche, soyons sérieux, ça existe encore ? Mais vous serez nombreux à lire Susan Neiman, parfois pour vous donner bonne conscience et beaucoup par nostalgie…
Sylvain Bonnet
Susan Neiman, La gauche n’est pas woke, traduit de l’anglais par Cécile Dutheil de la Rochère, Flammarion « climats », septembre 2024, 256 pages, 22 euros