Nouvelles d’antan, la nostalgie selon Jack Finney
Un auteur méconnu en France
Auteur du Voyage de Simon Morley et surtout de Body Snatchers, chef d’œuvre de la science-fiction qui fut adapté trois fois au cinéma, récemment réédité par Le Bélial, Jack Finney est pourtant peu connu des amateurs français. Pourtant, aux États-Unis, quelqu’un comme Stephen King, excusez du peu, ne cesse de vanter son talent et surtout qu’il lui doit beaucoup. Les éditions du Bélial ont publié en fin d’année un recueil de ses meilleures nouvelles, assemblé par Pierre-Paul Durastanti qui est une occasion de se plonger dans une œuvre qui va se révéler passionnante.
Des nouvelles de leur époque
Les histoires sélectionnées sont parues entre 1948 et 1965 et portent la marque de leur époque. Par exemple, Voyons Dans un nuage, située dans le New York années cinquante, qui nous montre comment un jeune marin et une jeune fille vont se rencontrer, sous l’influence de deux nuages qui leur font prendre brièvement des apparences et des voix les apparentant à des stars de cinéma. Un bel hommage au cinéma de l’époque et dans une veine sentimentale. Avec Des voisins originaux, le narrateur accueille des voisins très particuliers, qui viennent d’un futur où l’invention du voyage dans le temps a provoqué des migrations massives vers le passé. Très savoureux, bonne chute qui rappelle les meilleurs épisodes de Twilight Zone. On retrouve cette veine avec Les Dessous de l’information où un journaliste croit pouvoir modeler le présent en annonçant les nouvelles dans son journal, à cause du métal, issu d’une météorite, dont est fait sa machine à imprimer… Un peu d’humour aussi avec Contenu des poches du mort : un type échappe à la mort sur sa corniche où s’était retrouvé un papier très important (ah les courants d’air) …
La boîte à mots du cousin Len est une nouvelle plutôt poétique où les mots sont enfermés dans une boîte, ne demandant qu’à servir qu’à son utilisateur, en l’occurrence le cousin Len du narrateur. Avec Le dompteur du tigre, on voit un enfant, Charley, qui réussit à hypnotiser un tigre échappé d’un cirque… Mais en fait, il l’a endormi en mélangeant des somnifères à la viande. Amusant, car Charley est maintenant politique et risque d’être candidat à l’élection présidentielle. On retrouve ici un humour typiquement américain. Dans Les disparus, on découvre un homme qui a une vie qui l’ennuie. Un jour, il rentre dans une agence et on lui propose de partir sur Verna, une autre planète. Un billet contre tout ce qu’il possède. Il hésite, n’y va pas… et le regrette surtout que l’agence a changé et est redevenue « normale ». Chez Finney, le narrateur est souvent inadapté à l’Amérique des années cinquante (comme dans Le voyage de Simon Morley). Et voyager dans le temps lui offre une issue.
L’obsession du temps et la nostalgie du passé
On sait que son traitement du voyage dans le temps a fait connaître Jack Finney et ce thème est surabondant dans ce recueil.
« Mais, moi, je dis qu’il y en a trois, parce que j’ai le troisième à Grand Central Station. Oui, j’ai fait la démarche évidente : j’en ai parlé à un psychiatre de mes amis, un parmi d’autres. Je lui ai parlé du troisième sous-sol de Grand Central Station, et m’a dit qu’il s’agissait d’un rêve éveillé exauçant un désir refoulé. »
Dans Le troisième sous-sol, Charley découvre un troisième niveau sous la gare de Grand Central Station. Il l’emprunte et arrive en 1894… quand il raconte son histoire, on le croit surmené, sa femme ne le comprend pas… mais Sam, son psy, emprunte le même chemin et lui fait parvenir à travers le temps, via la collection de timbres du grand père de Charley, une lettre qu’il a trouvé ce chemin. Dans cette histoire dotée d’une très bonne chute, on détecte les prémices du Voyage de Simon Morley. Il est rare de voir les personnages de Finney vouloir changer le passé. Dans Arrête de faire l’avion avec tes mains ! un centenaire raconte comment, en pleine guerre de sécession, il a suivi un officier dans un voyage temporel afin de voler au futur une machine volante, afin de gagner la bataille de Cold Harbor. Mais ça ne marche pas bien et finalement ils décident de rendre la machine au « futur » (c’est-à-dire ici les années 1940). La seule fois où le passé est changé significativement est dans Seconde chance : un jeune homme retape une voiture de 1923, modèle Jordan Playboy, abîmée lors d’un accident qui a tué les passagers. Au volant de sa voiture, il se retrouve un soir plongé dans les années vingt et on lui dérobe la Jordan Playboy. Celle-ci, améliorée, ne connaîtra pas l’accident et les passagers seront sauvés. Histoire étonnante car cette voiture, dotée d’une vie propre, évoque de loin le Christine de Stephen King.
Avec J’ai peur, le narrateur note qu’il y a de plus en plus de perturbations temporelles. Un homme de 1876 réapparaît en 1955, une arme sert à deux crimes alors qu’elle est enfermée au commissariat. Et si l’époque actuelle provoquait un énorme blues qui donne envie de fuir dans le passé : thème déjà abordé dans Des voisins originaux et qui voit Finney revenir à cette idée que le passé vaut mieux que le présent. On y trouve aussi l’amour : dans La lettre d’amour, un homme trouve le courrier d’une jeune femme dans un vieux secrétaire. Celle-ci le séduit par son ton, il lui écrit une lettre… Qui lui parvient. A soixante-dix ans de distance, via ce secrétaire, ils tombent amoureux mais leur échange sera limité… moi qui pourfend le sentimentalisme, je suis ici ému, comme dans Le voyage de Simon Morley, preuve du talent de Finney.
Le passé attire finalement les protagonistes de ces histoires comme un aimant (peut-être que le présent de Finney, marqué par la menace d’une guerre atomique, explique ceci), on le voit avec Où sont les Cluett : ceux-ci veulent construire une maison à l’ancienne à l’identique. Et se transportent dans le passé puisque cette maison a déjà existé. Et que dire d’Un printemps à Galesburg où un journaliste raconte comment une ville résiste au changement et aux destructions en faisant appel à son passé. Terminons avec La Photo : Un policier découvre au cours de son enquête que des individus disparaissent du présent… pour réapparaître dans le passé, grâce à l’invention d’un scientifique. Consciencieux, le policier exige que ce scientifique envoie une lettre dans le passé pour les faire arrêter. Le scientifique choisit de le renvoyer lui dans le passé : et toc !
Toutes ces histoires, ainsi que celles qui ne sont pas citées, sont des preuves de l’évidence du talent d’un écrivain qu’il est grand temps de lire.
Sylvain Bonnet
Jack Finney, Nouvelles 1948-1965, traduit de l’anglais par Pierre-Paul Durastanti & Hélène Collon & Michel Rivelin & Jérôme Verain & Gilbert Ibéry, illustration de couverture d’Aurélien Police, Le Bélial collection « Kvasar », novembre 2023, 384 pages, 24,90 euros