Un exil combattant, les artistes et la France 1939-1945 : des artistes et bien des hommes et des femmes !

Pierre Masson, fils du peintre Henri Masson organise une exposition à New-York au printemps 1943 intitulée « Les artistes en exil ». L’aura des artistes pourrait masquer l’implication de tous les hommes et femmes de courage qui ont participé par leurs engagements à la résistance, et auxquels rend tout autant justice l’exposition en cours au Musée de l’Armée et son catalogue « Un exil combattant, les artistes en exil, 1939-1945 »

Ainsi sont mis à l’honneur des femmes comme Eve Curie, fille de la célèbre scientifique, Elizabeth de Miribel, diplomate et notamment secrétaire du Général de Gaulle quand il rédigea son discours du 18 juin : elles représentent tous ceux et celles de l’ombre.

On pourrait également oublier que le Général de Gaulle lui-même, figure aujourd’hui très « politiquement correcte », fit preuve d’une grande audace en partant à Londres et sans jamais recueillir l’unanimité outre-mer, Canada compris. Churchill, en juin 40, doit ménager le gouvernement français de Pétain et Roosevelt n’accordera jamais sa confiance entière ni aux ralliés à de Gaulle, ni aux savants français exilés.

« Si l’appel du 18 juin entre ainsi dans notre histoire, il faut en fait presque tout le mois pour voir le général reconnu « tout seul » par Churchill comme le chef des Français qui continuent le combat ».

Le rôle primordial de Brazzaville et d’Alger

Les chapitres du catalogue, organisés par pôles géographiques, alternent entre textes de spécialistes, en majorité d’historiens, et plaquettes iconographiques, à l’image de la répartition dans les salles de l’exposition.

Si Londres est le berceau de la France libre, c’est ensuite l’Afrique équatoriale qui a accueilli le gouvernement français en exil : Brazzaville devient en octobre 1940 « capitale de la France libre » et joue par son décentrement un rôle stratégique sur le plan militaire.  C’est là que le Général crée une nouvelle station de radio de grande portée où il peut s’exprimer sans aucune contrainte. Quant à Alger, elle devient une capitale culturelle au moment de la création du Comité de libération nationale, présidé en 1943 par le Général Giraud, rival de de Gaulle.  C’est d’Alger qu’est originaire le peintre Henry Valensi qui réalisa les œuvres les plus emblématiques de l’art de propagande de l’époque, compositions symboliques aux trois couleurs du drapeau ou peintures réalistes de scènes de résistance. C’est encore à Alger qu’est d’abord publié le célèbre poème de Paul Eluard intitulé alors « Une seule pensée, liberté ».

Des artistes mais pas seulement

Si cette mise en contexte donne une place modérée à l’art, la scénographie de l’exposition tisse des liens constants entre les arts et la vie au quotidien.

En entrant, le visiteur est en effet plongé dans l’ambiance de l’ époque par de grandes photographies de l’artiste allemande Germaine Krull qui en ces temps de guerre a sensiblement changé de style pour témoigner et servir la cause, sans se départir de son talent.

Une grande partie de l’exposition est consacrée aux Etats-Unis où les exilés se retrouvaient en fonction de leurs domaines d’activité, peintres, écrivains, cinéastes, intellectuels mais aussi scientifiques, tel Lévi-Strauss dont les lectures et rencontres à New York seront déterminantes pour son œuvre. Une institution universitaire de la France libre, l’ELHE, verra le jour également, soutenue par René Pleven, membre du gouvernement provisoire (un autre oublié).

Art de propagande ?

Dans les dernières salles, sont exposées des œuvres majeures du sculpteur Zadkine, comme « La Prisonnière » qui symbolise à la fois son épouse restée en France et le pays lui-même. De grandes toiles de Fernand Léger témoignent qu’il fut résistant de la première heure, à l’inverse de l’idée reçue ; des œuvres de Calder, du bijoutier Cartier et Henri Masson sont aussi présentées.

 Nombre d’objets sont étonnants : affiches, foulards imprimés, bijoux rendent parfois ténue la différence entre l’objet manufacturé stéréotypé (pour la bonne cause) et celui ayant une valeur artistique.

Le parcours de l’exposition et du catalogue, à la fois historique et géographique, de Londres à l’Afrique, de l’Amérique du nord à celle du sud, en passant par le Portugal, sans oublier des continents et pays plus lointains comme l’Australie, la Nouvelle Zélande, l’Inde ou l’Afghanistan nourrit la réflexion sur les conflits contemporains.

Florence Ouvrard

Vincent Giraudier et Sylvie Le Ray-Burimi (sous la direction de), Un exil combattant, les artistes en guerre, 1939-1845, Gallimard, mars 2025, 320 pages, 39 euros

& Exposition au Musée de l’Armée, du 26 février au 22 juin 2025

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