D’Oscar Wilde à Marguerite Duras, l’Ivresse de la littérature
Quelle jolie manière de traverser la littérature que d’aller de d’ivresse en ivresse ! Tchin ! propose ainsi de parcourir la vie d’une trentaine d’écrivains notoirement épris de boisson !
Un homme intelligent est parfois obligé d’être saoul pour passer du temps avec les imbéciles. » (Ernest Hemingway)
Portraits de beaux buveurs !
Tchin ! se compose d’une série de portraits tous au même format : une citation, une brève présentation, un entretien factice, une bibliographie sélective et la recette du cocktail emblématique.
L’entretien, qui forme le groupe des portraits, démontre la très bonne connaissance des auteurs et s’inscrit dans l’art des « à la manière de ». Ce qui est réussi c’est la façon dont chaque entretien met en avant la manière particulière à chacun d’être ivre. Chaque écrivain a un rapport propre à l’alcool, pour oublier, pour s’inspirer, pour se dépasser en être le compagnon ou la victime. Des buveurs joyeux et des tristes sires ! Des buveurs intellectuels pour le beau-geste et des buveurs pour l’ivresse, l’abandon, voire sa mort lente et résolue.
Ce que je fais de mieux ? me bourrer la gueule » (Charles Bukowski)
Et Zola alors ?
Que vient faire Emile Zola dans cet aréopage de joyeux buveurs ? cet intarissable bougon (Macquart) traite de l’alcool aussi bien que le faisait le peintre William Hogarth (1697-1764), pour instruire les hommes et prévenir des risques liés à l’alcoolisme. D’ailleurs, il répond dans l’entretien qu’il ne boit « jamais d’eau de vie » et pourtant les auteurs lui attribuent comme cocktail La Douce Prune qui est… à base d’eau de vie. Ah parfois l’alcool vraiment trouble les têtes !
Le dernier mot du tatillon ?
Le sous-titre est trompeur, on rencontre Maurice G. Dantec au-delà de Duras et Edgar Allan Poe avant Oscar Wilde… encore un des ravages de l’alcool… Autre souci, de mise en page celui-ci, beaucoup de question sont sur une page et les réponses sur une autre, ce qui blesse les yeux… Mais l’aspect général du livre est vraiment réussi, et cette mise en page de travers est-il lui-aussi une invitation à l’ivresse ?
Un beau voyage pour rencontrer la fine fleur de la littérature qui donnait ses lettres de noblesse au bistrot. Qu’on n’aille pas traiter Antoine Blondin de poivrot, c’est un esthète de la cuite ! qu’on n’aille pas enfermer Baudelaire, Verlaine, Musset et les autres consommateurs d’absinthe, ce ceux des découvreurs. Et surtout, ce Tchin ! laisse un arrière-goût de nostalgie, belle sans doute mais réelle, car les grandes oeuvres imbibées étaient tellement plus puissantes et réjouissantes que les fadaises des hygiénistes à l’eau clair de notre époque… On en viendrait à exiger une formation de buveur avant de prétendre être édité !
Loïc Di Stefano
Guillaume Fischer et Raphaël Turcat, dessins de KolonelCharbert, Tchin ! D’Oscar Wilde à Marguerite Duras, l’Ivresse de la littérature, Jungle, novembre 2017, 192 pages, 15 euros