Theatre of Horrors: The Sordid Story of Paris’ Grand Guignol
C’est en 1897 qu’Oscar Méténier, secrétaire dans un commissariat de police parisien, mais grand amateur de théâtre et lui-même dramaturge à ses moments perdus, achète un atelier de peintre (ex-chapelle vandalisée et désacralisée pendant la Révolution) situé au fond de l’impasse Chaptal, dans le quartier de Montmartre, pour en faire le plus petit théâtre de Paris — le Théâtre du Grand Guignol. Disciple de Zola et de Maupassant, il a pour intention première de produire des pièces naturalistes. Est d’ailleurs au programme, le soir de l’ouverture, une adaptation théâtrale de la nouvelle du second Mademoiselle Fifi. Ce n’est pas la seule pièce représentée, mais c’est visiblement celle qui marque le plus les spectateurs, à cause d’une scène où l’on voit Rachel, prostituée française, poignarder un officier prussien. Dès lors, le répertoire littéraire envisagé au départ est revu et corrigé : la scène du Grand Guignol sera celle où l’on tue, où l’on décapite, où l’on mutile, où l’on éventre, où l’on arrache des yeux, où le sang jaillit si fort qu’on fournit aux spectateurs du premier rang des tabliers de protection. Au moins un nom est à retenir en rapport avec ces joyeusetés : celui du dramaturge André de Lorde.

Aujourd’hui encore, les représentants du vieux Guignol de Lyon protestent. Le nom de ce Grand Guignol sanglant n’était qu’une imposture, puisqu’on était bien loin du spectacle pour enfants qu’était à l’origine Guignol tout court. Seulement, à l’origine, Guignol tout court n’était pas exactement un spectacle pour enfants. Cette attraction — ou plutôt cette distraction avait été inventée par un arracheur de dents qui opérait dans la rue avec une simple paire de tenailles et qui souhaitait faire oublier à ses patients (à ses victimes ?) les douleurs de l’extraction. Ajoutons que si, visuellement, Guignol devint assez vite un spectacle pour enfants, ses dialogues étaient remplis de sous-entendus subversifs qui lui valaient souvent d’être interdit par la censure de Napoléon III. Les outrances du Grand Guignol ne faisaient évidemment pas dans le sous-entendu – la proximité des cabarets montmartrois entraîna d’ailleurs très vite l’adjonction du sexe à la violence —, mais elles rejoignaient à leur manière Guignol dans sa critique de la société bourgeoise.
Raconter l’histoire du Grand Guignol — qui, du fait de la concurrence des films d’horreur, dut fermer définitivement ses portes dans les années soixante –, c’est donc raconter certains chapitres de l’histoire de la littérature (les surréalistes – voir plusieurs pages de Nadja –, Colette, Anaïs Nin et bien d’autres furent des spectateurs assidus du Grand Guignol) et certains chapitres de l’Histoire tout court, avec les surprises que celle-ci peut inclure. L’un des directeurs du Grand Guignol mit un terme à ses fonctions pendant la Grande Guerre, estimant que les horreurs réelles et les vraies Gueules cassées ne manqueraient pas de détourner le grand public des horreurs des fictions théâtrales. Erreur : les horreurs réelles ne firent qu’attiser l’intérêt du bon peuple pour les débordements de sadisme du Grand Guignol.
C’est cette histoire que nous invite à découvrir dans Theatre of Horrors le réalisateur documentariste anglo-américain David Gregory (auquel on doit entre autres un admirable Lost Soul, sur le désastreux tournage d’une Île du docteur Moreau australienne sauvée in extremis par John Frankenheimer en 1996). L’abondance et la variété des documents réunis ne laissent pas d’être impressionnantes, quand on sait que ce film a été produit depuis Los Angeles, mais il faut savoir — et c’est un autre aspect du sujet — que le succès du Grand Guignol fut à un moment donné si grand qu’il eut des rejetons à travers le monde, dont un à Londres, dont la carrière ne fut interrompue que parce que le bâtiment qui l’abritait fut, comme tant d’autres, victime du blitz.
« J’ai toujours été passionné par le Grand Guignol depuis mon plus jeune âge, raconte David Gregory. Mais ce théâtre n’était mentionné que très brièvement dans les ouvrages traitant du genre de l’horreur, y compris dans de doctes études universitaires. Même les réalisateurs français de films d’horreur que j’avais l’occasion de rencontrer n’avaient visiblement qu’une connaissance extrêmement superficielle de ce que représentait le Grand Guignol. J’ai donc voulu découvrir par moi-même ce qui se cachait derrière l’adjectif grand-guignolesque. L’épouvante et le fantastique made in France ont exercé une influence dépassant largement les frontières de la France – et le Grand Guignol a joué un rôle majeur dans leur diffusion. »
Theatre of Horrors fera dans les mois à venir l’objet d’un Blu-ray, mais on pourra le découvrir d’ores et déjà lors de sa première mondiale le 6 septembre à 14h15, dans le cadre de l’Étrange festival et en présence de Barbara Steele, qui en est la narratrice.
FAL
Theatre of Horrors. Réalisé par David Gregory. États-Unis, France, 1h27. Noir et blanc et couleur.