Mira Ceti de Sébastien Doubinsky

Alex Szénas (1), le personnage principal du roman de Sébastien Doubinsky, se lance dans une grande aventure pour oublier sa vie, sa passion de peintre, la femme qu’il a éperdument aimée au moment où il vient de la perdre. Mira Ceti est ce voyage.

« Géographie de la fuite et du malheur »

Alex Szénas est en pleine errance. En fuite. Persuadé d’être élu par la poisse, il vagabonde de Tanger à Lisbonne, Madrid, Dunkerque, New York, Thulé, pour tenir une promesse : apporter le talisman de son ami défunt à sa grand-mère. Cela lui donne un projet de vie, qui n’est pourtant qu’une parenthèse dans son voyage au bout de sa propre nuit. Règne sur chaque page une ambiance lourde, poisseuse, de déshérence, comme dans un polar des années 50, un road trip littéraire et pictural — le monde est souvent décrit par des références propres à l’art même du personnage, la peinture.

Il se fait engager comme cuisinier sur des cargos remplis de marins peu amènes, s’enferme à lire — tout Jules Verne — et ressasse sa vie d’avant, de peintre. C’est en cherchant à ne plus être peintre, voire à ne plus être tant ce qu’il est le désole (« Moi, c’est ma vie, mon problème » concède-t-il) que, petit à petit, il regarde le monde comme des motifs picturaux. Plus il s’enfonce, plus il s’allège. Plus il s’éloigne, plus il s’approche. C’est ce paradoxe qui fait un des chemin proposé aux lecteurs.

« Partir, c’est aussi arriver. »

Qui peut savoir, avant de s’être arrêté pour de bon ? Je voulais changer. Je reste le même. Je suis toujours capable des mêmes erreurs. D’aimer les mêmes femmes. D’aimer à côté. D’embrasser l’ombre.

Ce récit est une longue plongée dans la noirceur de soi-même pour tenter de se retrouver, et d’échapper à ses fantômes. Son parcours est celui d’un marin, qui assume les escales, l’alcool, les filles, les camarades de beuverie, les ambiances glauques et un mal-être constant. Mais aussi un étrange personnage qui de loin en loin lui fournit quelques missions discrètes, en faisant un passeur de sa cause.

Par ailleurs, on sait dans le récit que le narrateur est féru de culture mystique, et que le voyage s’achète à Thulé n’est bien sûr pas anodin. L’autre nom de Qaanaaq, au nord-ouest du Groenland, est décrit par les Grecs anciens comme le point le plus septentrional du monde connu, et repos hivernal d’Apollon. Mais Thulé reste un lieu mystérieux, en dehors même de la « société de Thulé », et cela — associé aux références à Ulysse — font de ce voyage terrestre un chemin initiatique par un dépouillement du moi ancien pour atteindre une manière de sérénité propice à la découverte d’un moi possible, et espéré plus heureux.

Sébastien Doubinsky parvient à porter le lecteur, en quelques mots, en touches poétiques, dans les pas mêmes de son personnage. De tisser un lien émotionnel et affectif rare mêlant humour, réflexions sur la peinture, la vie, le monde, dans un road trip passionnant et humaniste.

Loïc DI Stefano

Sébastien Doubinsky, Mira Ceti, Abstractions, octobre 2024, 164 pages, 17,99 euros

Lire l’article consacré à Hôtel des voyageurs, qui se construit à partir de Mira Ceti.

(1) Bien sûr, il est tentant de lire eczéma, et de comprendre le personnage comme un malheureux en proie à un prurit existentiel profond, qui vient de lui-même — du sentiment qu’il a de lui — mais aussi de l’environnement dans lequel il progresse, riche d’autant d’allergènes que de mauvaises rencontres…

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