Traducteurs afghans, une trahison française

Vibrant témoignage

L’histoire française ou plutôt l’un des oublis français est adapté en images dans Traducteurs afghans. Deux journalistes français, Quentin Müller et Brice Andlauer, ont enquêté sur cette sombre histoire comme la démocratie sait en créer. Le scénario de ce roman graphique est extrait de leur livre Tarjuman, enquête sur une trahison française paru en 2019 chez Bayard.

Pourquoi tu t’acharnes à faire ce boulot ? C’est trop dangereux… Ecoute, même si je démissionnais maintenant, je serais en danger, alors autant faire le boulot jusqu’au bout !..

S’offrir à la France pour mourir dans l’oubli

La France s’engage en Afghanistan en 2001 après le 11-Septembre dans l’opération Enduring Freedom (liberté durable). Pour réussir à s’immiscer plus facilement et comprendre le pays, ils engagent de nombreux afghans notamment comme chauffeurs, physionomistes, interprètes… Ces derniers, appelés Tarjuman chez eux, ont la volonté farouche de combattre les traitres et ainsi libérer leur pays de l’Etat Islamique. Ils se consacrent pleinement à leur mission jusqu’à combattre avec les français.

Leur mission est dangereuse mais tel est le prix de la liberté.

Par contre ils ne s’attendaient pas que la France parte avant que leur pays ne soit réellement libéré. Et ils se retrouvent prisonniers chez eux face à Daech qui reprend peu à peu le pouvoir et veut faire payer ces afghans qui ont servi les traitres américains ou français.

Environ 800 afghans tentent l’impossible : obtenir un visa pour partir en France. S’évader de leur pays et suivre les traces de nombreux migrants vers l’Europe avec tous les risques que ce parcours comporte.

« […] on a réussi Chadi, on va pouvoir rester en France et ramener  maman et tes frères ici, en sécurité avec nous !

« Les yeux et oreilles au combat »

Caroline Decroix est avocate (vice-présidente de l’Association des interprètes afghans de l’armée française), et à l’origine de la médiatisation de ce qui n’aura jamais encore été un aveu de faiblesse ou en tout cas d’ignorance par l’Etat français.

Traducteurs afghans met en lumière trois Tarjuman qui ont offert leurs services à la France pour l’aider à combattre Daech. Et qui ont été lâchement abandonnés dans leur pays.

Une centaine de pages suffisent pour montrer l’acharnement de ces traducteurs qui allaient au-delà de leur simple mission, en prenant aussi les armes pour se protéger, voire combattre.

La deuxième partie de Traducteurs afghans se consacre à leur combat de sauver leur peau et trouver un moyen de fuir leur pays. Et dire que leur engagement était justement pour le rendre libre…

Le parti pris du dessinateur est d’utiliser le traitement en noir et blanc pour donner de l’intensité et un esprit dramatique à la narration. Mais il fait face à l’antagonisme de l’utilisation de visages enfantins qui se rapprochent de la naïveté du dessin manga pour apporter un peu de douceur. On ne pourra le comparer à Persepolis mais certaines similitudes sont apparentes.

A certains moments et suivant les scènes on a tendance à mélanger les personnages qui ont de fortes ressemblances mais le plaisir de lecture est conservé. Et on a tout de suite envie d’acheter le livre original pour en savoir davantage sur cette triste histoire. Nous pensons forcément à tous les Tarjuman qui vivent encore en Afghanistan et ceux qui n’ont pas survécus. Alors un jour les honneurs français viendront peut-être ?

Xavier de la Verrie

Quentin Müller, Brice Andlauer (scénario)  Pierre Thyss (dessin), Traducteurs afghans, La Boîte à Bulles, février 2020, 118 pages, 17 eur

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