Ulysses S. Grant, l’autre grand général de la Guerre de Sécession

Un spécialiste des guerres modernes

 

De Vincent Bernard, l’amateur d’Histoire connait sa biographie de Robert Lee (Perrin, 2014), fameux général sudiste qui tint la dragée haute pendant plus de trois ans aux nordistes. Il a aussi publié Le Sud pouvait-il gagner la Guerre de Sécession ? chez Economica en 2017, un essai où il ausculte au plus près les chances de la Confédération et ses occasions manquées de parvenir à la victoire. Il était finalement logique qu’il s’intéresse au personnage qui a vaincu Lee, le général Grant, qui devint par la suite Président des Etats-Unis de 1869 à 1877.

 

Grant l’outsider

 

Contrairement à Lee, issu d’une famille aristocratique de Virginie, Ulysses S. Grant appartient à une famille modeste de l’Ohio. Enfant doué, son père réussit à lui faire passer les examens pour West point. Grant n’y brille pas, contrairement à Lee. Il participe à la guerre du Mexique et y fait montre d’un certain courage. Il se marie avec Julia Dent, fille d’un planteur du Missouri et propriétaire d’esclaves, malgré un beau-père qui craint une mésalliance. En 1854, Grant, lassé de la vie de garnison dans l’ouest, démissionne de l’armée. Il tente d’abord sa chance comme fermier, puis comme agent d’assurances mais ce ne sont qu’échecs. Quand la sécession du Sud intervient, Grant est, soyons clairs, un « raté ». C’est du moins l’impression qui ressort de la lecture de la biographie de Bernard.

 

L’homme de la guerre totale

 

Grant s’engage immédiatement, d’abord dans la milice. Ses talents sont remarqués et il devient vite général. Il s’illustre sur le front de l’Ouest et remporte des succès éclatants, au moment où le conflit s’enlise en Virginie. Il prend d’assaut les forts Henry et Donaldson, gagne la bataille de Shiloh (après avoir frôlé le désastre), s’empare de Vicksburg et s’assure du contrôle du Mississipi, coupant en deux la Confédération. Lincoln le nomme en 1864 commandant en chef des troupes de l’union. Sa stratégie ? Attaquer, ne pas reculer, jouer à fond de la supériorité logistique et démographique du Nord. S’il ne remporte pas de bataille décisive contre Lee (meilleur tacticien), il le force à s’enfermer autour de Richmond et de Petersburg. Commence une guerre de tranchées qui préfigure la Première Guerre Mondiale. Pendant ce temps, Sherman exécute le plan global de Grant et prend Atlanta qu’il incendie (revoyez Autant en emporte le vent). Ainsi finit la Guerre de Sécession, préfiguration des guerres totales, où il faut vaincre l’adversaire grâce à une stratégie d’attrition. Là où Lee est un héritier accompli de Napoléon, Grant annonce l’art opératif des généraux soviétiques, selon notre auteur.

 

Ulysses S. Grant à Cold Harbor, Virginie (1864)

 

Un politique malgré lui

 

Héros du Nord après avoir obtenu de Lee la reddition d’Appomatox, Grant n’envisageait pas de se lancer dans la politique. L’assassinat de Lincoln puis l’échec politique de son successeur Andrew Johnson amènent les Républicains à lui proposer l’investiture pour la présidentielle de 1868, remportée haut la main. Vincent Bernard décrit avec talent ce militaire perdu en politique, dont l’entourage est corrompu. Sa politique dans le Sud vise à réintégrer les sudistes tout en protégeant les droits des anciens esclaves noirs (envers lesquels Grant n’avait à l’origine aucune sympathie). C’est avec Grant que deux noirs seront élus sénateurs, un miracle qui ne se répétera pas avant le milieu du XXe siècle. S’il tenta de bonne foi une politique des droits civiques envers les afro-américains, celle-ci ne résista pas au compromis bipartisan de 1876 suite à l’élection du Républicain Hayes, contestée par les démocrates : ces derniers obtinrent le départ des dernières troupes fédérales du Sud, prélude aux lois « Jim Crow ».

 

Voici le portrait d’un américain paradoxal, bon stratège et pas si mauvais politique qu’on a pu le dire. Cette biographie, qui comble un vide dans l’historiographie française, vaut le coup d’être lue.

 

Sylvain Bonnet

 

Vincent Bernard, Ulysses S. Grant, L’étoile du Nord, Perrin, janvier 2018, 336 pages, 23 euros

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