Le Traité théologico-politique de Spinoza, un livre forgé en enfer

Lorsque le Traité théologico-politique parut en 1670, les autorités politiques et religieuses néerlandaises considérèrent ce « brûlot » comme une abomination, un livre des plus dangereux jamais publiés. C’est l’histoire de ce livre que Steven Nadler a décidé de nous raconter dans Un livre forgé en enfer.

Le livre contre la Bible

De quoi nous parle-t-il ? Steven Nadler est l’éminent spécialiste mondial du philosophe hollandais, déjà auteur d’un Spinoza traduit par Jean-François Sené et publié chez Bayard en 2003, absolument splendide. Biographie de référence, celle-ci nous retrace l’histoire hallucinante d’un livre interdit, qui est « probablement le plus important de toute la pensée occidentale » puisque Spinoza n’hésitait pas à y déclarer que « la Bible n’était pas littéralement la parole de Dieu mais une œuvre littéraire issue de l’esprit humain ».

Selon Spinoza, écrit l’auteur, l’on trouve derrière les grandes religions organisées une conception en apparence appropriée de Dieu, mais qui se révèle être, en fin de compte, impie et nuisible. Les rites superstitieux et les cérémonies du judaïsme et du christianisme, fruits d’un calcul visant à gagner la faveur de Dieu et à éviter sa colère, reposent sur l’hypothèse erronée que Dieu serait un agent rationnel, doué tout comme nous d’une vie psychologique et d’attributs moraux. »

Livre unique dans l’histoire de la philosophie, le Traité théologico-politique de Spinoza sera le premier à renvoyer la Bible aux œuvres purement humaines, et, c’est dans ce contexte exalté, surchauffé, que les réactions enflammées et hostiles se déchainèrent. Véritablement traité de « livre forgé en enfer », le T.T.P. suscita la colère et l’indignation, au point de faire passer Spinoza pour un athée, ou mieux un hérétique, et amena son œuvre philosophique à être ignorée ou mal comprise durant plusieurs siècles.

Le Traité théologico-politique de Spinoza (Tractacus Théologico-Politicus) reçut, à cette même époque, un traitement pire encore : il fut en effet presque totalement ignoré des philosophes du XXe siècle. »

Or, ce qui a clairement dérangé dans son ouvrage, c’est qu’il a clairement affirmé que la Bible n’était pas la parole de Dieu mais l’assemblage de textes écrits à différentes époques par de multiples auteurs.  Militant pour la plus totale liberté d’expression, ce qui serait en clair la finalité même de l’État, qu’il soit une monarchie, une aristocratie ou une démocratie, peu importe, mais l’essentiel étant qu’il limite les passions tristes des hommes et qu’il les élève à l’usage juste de leur raison, afin de leur permettre d’accomplir pleinement leur liberté, il n’y a pas de condition favorable à l’établissement d’une véritable démocratie si, selon Spinoza. L’église s’ingère dans les affaires de l’État.

L’ingérence ecclésiastique représente une menace non seulement pour le progrès de la philosophie et de la science, mais également pour la prospérité de l’État. La capacité du clergé à exercer une censure sur la recherche philosophique est en effet directement proportionnelle à son influence sur la politique interne. »

L’avantage de ce livre, c’est qu’il ne s’adresse pas seulement aux spécialistes, mais également à l’homme ordinaire, qui pourra, sans mal le lire comme un roman, un thriller politique et philosophique moderne, dans lequel on voit comment le pouvoir s’y prend pour diaboliser une pensée et une parole libre, libérée des fers forgés de la doxa et de la superstition, mais aussi de l’ignorance et des passions. Histoire humaines, odyssée de la raison, ce livre est l’histoire des idées et de la nécessité d’une pensée éclairée dans la communauté humaine.

Marc Alpozzo

Steven Nadler, Un livre forgé en enfer, traduit de l’anglais par Olivier Bosseau, préfacé par Frédéric Lenoir, H&O, septembre 2018, 23 eur

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