Echecs, la vie comme une partie

Victor Lorenzo Pinel est un dessinateur et coloriste espagnol. Il aime raconter des histoires à hauteur d’homme, qui se déroulent dans le quotidien. Après un premier album consacré au dur sujet du secret, le voici avec Echecs, apparemment plus léger.

Les règles du jeu

La vie, comme le jeu d’échec. Facile à apprendre, amusant à jouer, difficile à gagner… impossible à contrôler !

Au coeur de l’histoire, il y a Karim, jeune bénévole dans une maison de retraite et Madame Dubois, résidente. C’est la mamie bougonne, qui ne veut rien sinon un petit verre de cognac. Contre toute attente, Karim parvient à lui redonner un peu goût à la vie en passant beaucoup de temps avec elle et en la laissant lui enseigner le jeu d’échecs. Cet apprentissage, qui devient vite un échange, voire une amitié, est aussi une manière pour la vieille dame d’enseigner un peu la vie à ce « gamin » trop timide. Car chaque leçon d’échecs, chaque explication sur les pièces et leur déplacement, chaque moment est une manière de faire une leçon sur la manière dont se comportent les gens. Et ces descriptions correspondent aussi aux personnages secondaires.

Album chorale, on croise le bel acteur qui aimerait être aimé pour lui-même non son rôle, la directrice de la maison de retraite qui aimerait bien avoir une vie de femme, le lycéen sûr de lui qui enchaîne les conquêtes mais sait qu’il n’aime pas vraiment, le couple ordinaire qui n’ose plus s’aimer, le couple gay séparés par une mission humanitaire, la jeune femme qui couche chaque soir avec un nouvel amant pour ne pas chercher le bon, cette jeune fille qui ne fait que croiser son amoureux… Autant de situation, autant de petites vies, mais de grandes histoires personnelles. L’amour est ce qui pourrait illuminer la vie de chacun, si seulement…

tous de leur côté mais ils vont finir par se rencontrer

Ce n’est pas parce que quelque chose se termine que ça a échoué. […] L’important est de trouver le moyen d’avancer.

La coïncidence qui ouvre l’album en est-elle une ? Karim qui est subjugué par cette jeune femme jouant de la guitare sur une place — on reconnaîtra Bordeaux — est-il un pion ou un fou, voire un roi ? Chaque personnage a ses propres capacités, ses mouvements restreints s’il est pion ou majeurs s’il est une reine. Mais qui sont les rois ? Et qui les fous, qui chacun, bloqués sur sa couleur, ne pourra jamais rencontrer l’autre ?

L’histoire de Karim et de Madame Dubois reste centrale, mais petit à petit les liens convergent et les vies anodines, apparemment, s’étoffent. Ce n’est pas un récit sur le jeu d’échecs, mais un récit qui fonctionne comme une partie d’échecs, ou plutôt une série de parties. Il y a beaucoup de tendresse dans Echecs. Et beaucoup d’intelligence dans le récit qui se termine dans une apothéose.

Loïc DI Stefano

Victor Lorenzo Pinel, Echecs, Grand angle, août 2023, 176 pages, 24,90 euros

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