Rocard, une biographie internationale de Vincent Duclert
Spécialiste de l’affaire Dreyfus, récent auteur d’un ouvrage controversé sur le rôle de la France dans le déclenchement du génocide contre les tutsi au Rwanda, Vincent Duclert a choisi ici de consacrer un ouvrage à Michel Rocard (1930-2016), grande figure avec Pierre Mendès-France de la gauche française. Mais il a choisi un biais disons particulier.
La dimension internationale de Rocard

Michel Rocard n’a jamais été élu président de la République, on peut le regretter. Mais il est entré dans la vie politique via un rapport secret sur les camps de regroupement en Algérie, rédigé à la demande de Paul Delouvrier et remis au ministre de la justice Edmond Michelet, qui avait pour but sur les conditions de vie des populations rurales arabes. Disons-le simplement : ces camps étaient des mouroirs. Le rapport de Rocard eut le mérite d’améliorer leur subsistance et de limiter la mortalité. Protestant, Rocard avait des exigences morales importantes. Devenu premier ministre, il a réussi un coup de maître avec les accords de Matignon qui accordaient un statut particulier à la Nouvelle-Calédonie, tenant compte des aspirations des Kanaks. Le mécano était complexe, il a failli voler en éclats l’année dernière, mais a réussi à éviter à ce territoire une guerre : ce n’est pas rien, c’est aussi pour cela qu’on fait de la politique. Rocard se montra ici à l’écoute, innovateur, respectueux de ses interlocuteurs : un artisan de la paix, comme le dit justement Vincent Duclert. On sait moins qu’il fut un des initiateurs du traité sur l’interdiction de l’exploitation des ressources de l’Antarctique, en lien avec la Nouvelle-Zélande.
Le Rwanda
Premier ministre de 1988 à 1991, Rocard était totalement tenu à l’écart au nom de la théorie du « domaine réservé » de la gestion du dossier rwandais par François Mitterrand, grand ami du président rwandais Juvénal Habyarimana. Or, il s’avère qu’il s’est intéressé au dossier, se rendant sur place après le génocide en tant que député européen, prenant l’initiative d’une note adressée à Lionel Jospin et Hubert Védrine sur le sujet. Prenant ses distances avec la vulgate en cours à l’époque, Rocard démontre le rôle des proches d’Habyarimana dans la préparation du génocide, la myopie complaisante de la France, l’ambigüité de l’opération Turquoise de 1994. Bref, il milite pour des gestes forts à adresser à Kigali. Et personne ne bouge, les mitterrandiens n’osant toucher à leur idole, pourtant décédée en 1996. Rocard sera ignoré, après tout on n’avait pas voulu de lui aux affaires étrangères ou ailleurs.
Tenu à l’écart de toute responsabilité par son parti qui le relègue (pour son bonheur) au parlement européen, Rocard a essayé aussi discrètement de faire avancer la cause de la paix entre israéliens et palestiniens, sans succès. Mort en 2016, Rocard reste en tout cas un modèle à suivre. Personne cependant n’a, dans la classe politique française, essayé de prendre sa suite.
Essai remarquable.
Sylvain Bonnet
Vincent Duclert, Rocard une biographie internationale, Passés composés, mars 2025, 368 pages, 23 euros