Ne courez pas ! Marchez ! l’enfance de Roman Polanski
Le nom « Polanski » est imprimé deux fois sur la couverture, mais dans deux tailles différentes, et c’est injuste. L’ouvrage, intitulé Ne courez pas ! Marchez !, se compose en effet de deux textes, l’un de Polanski fils – Roman –, l’autre de Polanski père – Ryszard –, et, celui-ci étant nettement plus long que celui-là, c’est le nom du père que, logiquement, il conviendrait d’imprimer en gros caractères, et non l’inverse. Disons toutefois que l’on peut justifier ce déséquilibre typographique par le fait que le père n’aurait pas écrit si le fils ne le lui avait pas demandé. Le texte de Roman est la transcription – légèrement revue et corrigée, mais légèrement seulement, afin que la tonalité orale soit toujours présente – d’un enregistrement réalisé il y a une vingtaine d’années pour la Fondation pour la Mémoire de la Shoah. Celui de Ryszard se compose de deux longues lettres adressées à Roman. Sujet : leurs destins respectifs, parallèles, pendant la guerre. D’un côté, la survie de l’enfant Roman, dans Cracovie essentiellement ; de l’autre, celle de son père Ryszard dans différents camps.

Disons-le tout de suite, on ne trouvera pas grand-chose de plus dans ces 260 pages que ce qu’on a déjà pu lire dans L’Espèce humaine de Robert Antelme ou dans différents ouvrages de Simone Veil, mais il est certains éléments qu’il n’est pas mauvais de rappeler. À ceux qui s’étonnent que les juifs aient pu « se laisser faire » si facilement pendant la guerre, Roman explique en quelques phrases limpides comment l’étau nazi se resserrait progressivement. Dans un premier temps, on regroupe les juifs dans un ghetto ; dans un second temps, on modifie les limites de ce ghetto et on réduit sa surface. Et ainsi de suite. Une remarque s’impose à la lecture de ce témoignage : après ce que Polanski a vécu, même si l’on n’apprécie pas forcément tous ses films — car certains sont, disons-le, franchement malsains –, on peut se demander comment il a pu produire, globalement, l’œuvre cinématographique que nous connaissons. Car ne suffit pas d’être resté enfermé plusieurs mois dans un ghetto pour réaliser un film comme Le Pianiste. Ajoutons que la conclusion du témoignage de Polanski contient une surprise de taille : son absence de ressentiment. Il ne pense pas que les Polonais soient antisémites : « Il y avait, pendant la guerre, ceux qui profitaient physiquement ou moralement de la misère des Juifs. Mais c’étaient des individus. On ne peut pas dire que la nation entière était concernée. Il y a quand même beaucoup de Polonais qui ont aidé les Juifs pendant la guerre. »
Si son Oliver Twist, avec son héros quelque peu passif, semblait signifier que les survivants doivent plus leur survie à la chance qu’à eux-mêmes, on se dit en lisant les lettres de Ryszard qu’il y a quand même chez les Polanski une capacité de résistance physique et morale peu commune. Quiconque a souffert d’une hernie inguinale ne comprend pas comment Polanski père a pu porter jusqu’au bout les charges qu’on lui demandait de porter. Et, qui plus est, comment, racontant les épisodes qu’il a vécus – il a vu, par exemple, un responsable de camp abattre 350 jeunes gens d’une balle dans la nuque… –, il peut les raconter assez souvent sur le mode humoristique. Mais il est vrai que l’humour est le seul traitement que l’on puisse réserver à l’horreur quand celle-ci atteint l’ampleur de l’horreur nazie.
Une dernière remarque peut-être, à l’intention de ceux qui, par les temps qui courent, seraient tentés d’appeler de leurs vœux un régime autoritaire. Il y a, dans une des lettres de Ryszard, cette page où il raconte comment un SS abat froidement un prisonnier parce que celui-ci a osé le regarder dans les yeux, puis, juste après, abat un autre prisonnier qui, lui, a osé garder les yeux baissés quand il s’est adressé à lui. Souvent les défenseurs de l’Ordre ne font, au nom de l’Ordre, que libérer de très anarchiques pulsions.
FAL
Roman Polanski, Ne courez pas ! Marchez !, suivi de Lettres à mon fils de Ryszard Polanski (Lettres traduites du polonais et annotées par Piotr Kaminski). Flammarion, mars 2025, 272 pages, 21 euros