Schizophrénie et génétique, un ADN de la folie?

Dans les années 1885, Cesare Lombroso avait éveillé bien des espoirs chez les médecins de l’époque. De l’observation de la forme de trente-cinq crânes d’assassins, il conclut que la criminalité est innée, et héréditaire dans 33% des cas… Il avait découvert le Graal : une cause physique à un comportement psychique ! Hélas sa théorie ne tint pas ses promesses. Il nous en reste juste une expression : avoir la bosse des maths…

À la même époque, constatant que la médecine était impuissante à traiter les désordres psychiques, un médecin nommé Sigmund Freud se résolut à pratiquer ce qu’il nomma d’abord la talking cure, la cure par la parole. Faute de mieux : il espérait qu’un jour les progrès de la médecine permettraient un traitement physique… Boris Chaumette nourrit aujourd’hui le même espoir.

Un trouble n’est pas une maladie

Aujourd’hui encore, le mot de schizophrénie ne définit qu’un trouble, et non une maladie. On ne parle de maladie que lorsqu’on a découvert son étiologie, c’est-à-dire qu’on a découvert sa cause, sur laquelle agir. De même qu’on ne soigne pas la maladie de la grippe en intervenant sur le trouble qu’est la fièvre, actuellement on ne peut qu’atténuer les symptômes dont souffrent les schizophrènes, puisqu’on n’a pas identifié la maladie, s’il en est une et une seule…

Jusqu’à aujourd’hui seulement : grâce à la génétique, Boris Chaumette nourrit le grand espoir d’identifier la cause de ce qui deviendrait dès lors une maladie. D’où le sous-titre de son livre : Un ADN de la folie ? On remarquera le point d’interrogation…

Longtemps les psychiatres furent considérés comme des médecins de seconde zone, puisqu’ils sont incapables de soigner les maladies psychiques – si soigner consiste à éradiquer la maladie. Par contre, depuis Philippe Pinel, on a pensé que si on ne pouvait les guérir, on pouvait en prendre soin : Pinel affirma que les fous pouvaient être compris et soignés, on dit qu’il les libéra des chaines auxquelles on les attachait trop souvent. Est-ce un hasard si ce fut au temps de la Révolution française ? Un siècle et demi plus tard, suite au programme des Jours Heureux espérés par la gauche de la résistance française, on assista au développement de la psychothérapie institutionnelle qui s’inspirait fortement de la psychanalyse, jusque dans les années 80. Comme s’il fallait un changement politique pour que l’on prenne soin des psychotiques ?

L’idée directrice de la psychothérapie institutionnelle était que grâce au fonctionnement bienveillant de l’hôpital comme institution, les activités et les rapports qui s’établissaient entre tous, soignants et soignés, permettaient de sortir de la stigmatisation, de la déshumanisation que subissent les fous à cause de leur anormalité. Si cela ne les guérissait pas, cela leur permettait de vivre le mieux possible avec et malgré leurs symptômes. 

Quand le psychiatre devient un « vrai » médecin

Puis vint le professeur Jean Delay qui mit au point le premier neuroleptique en 1952, ce qui transforma l’ambiance hospitalière : les délires et hallucinations devinrent plus rares. On avait trouvé un moyen médical, somatique, d’atténuer les symptômes ; au moins les symptômes. 

Jusqu’alors les psychiatres n’étaient pas considérés comme de « vrais » médecins. Aujourd’hui, les services de psychiatrie ne sont plus ségrégés : ils sont entrés dans l’hôpital général (sauf les grands hôpitaux psychiatriques historiques comme Sainte-Anne) … et les médecins-psychiatres aussi.

Il m’a semblé qu’il fallait resituer le livre de Boris Chaumette dans ce contexte historique pour en comprendre les enjeux qui sont doubles : trouver la cause de la schizophrénie (pour autant qu’il y ait une cause !), mais aussi intégrer la psychiatrie dans la médecine.

Le pari de la génétique

Boris Chaumette mise sur l’analyse génétique. Puisqu’il faut désormais moins de vingt-quatre heures pour séquencer l’ADN d’un patient, cela devient possible. Il mise, en toute honnêteté, ce qui n’est pas si fréquent en notre ère de l’idolâtrie du cerveau : on le sait, pour les neurologues tout vient et provient du cerveau. Le cerveau pense, se souvient, rêve, projette, tout est là ! Victimes d’une licence poétique, ils font du cerveau une personne qui décide de tout… Normal, puisqu’il est en tête ! La mythologie comme l’étymologie nous le rappellent : la tête, c’est le chef.

En tout honnêteté, donc, Boris Chaumette compare le scientifique qui cherche à identifier les gènes à un pécheur qui, longtemps, chercha son poisson avec une canne rudimentaire. Aujourd’hui, grâce à l’informatique, il dispose d’un chalut. Désormais, on peut tirer des conclusions de l’analyse d’une cohorte de dizaines de milliers de patients…. Malheureusement, la moyenne statistique obtenue ne permet pas une bonne prédiction à l’échelle d’un seul individu… Si l’on savait que le gène x prédispose à la schizophrénie dans 33% des cas, qu’en serait-il d’un patient en chair et en os que l’on a en face de soi ? Alors, il ne s’agit pas de parier ! Par exemple, la délétion 22q11 (soit la perte d’un fragment d’ADN constituant une cause de mutation) pourrait expliquer 1% des cas de schizophrénie. C’est un succès de la recherche qui n’en est pas encore un du point de vue clinique… Ce qui n’empêche pas Boris Chaumette, trente pages plus loin, de soutenir que la délétion 22q11 « prédispose très fortement au développement d’une schizophrénie » ! Si l’espoir fait vivre, serait-ce au-delà du possible ? 

Car Boris Chaumette espère : « Dans le sida il y a un virus. Dans le cancer il y a des cellules mutantes. Et si, dans la schizophrénie on mettait à jour des anomalies génétiques ? »

On ne peut que rendre hommage à sa ténacité. Pour lui c’est une question de vie ou de mort : chaque jour il a en face de lui des schizophrènes au comble de la souffrance. Il n’est rien de pire que se sentir impuissant face à une personne en détresse, particulièrement quand on est soignant. Il sait que si un jour des anomalies génétiques étaient identifiées, cela permettrait de comprendre les origines de ce que l’on pourrait dès lors appeler une maladie. Encore faudrait-il toujours, comme aujourd’hui, prendre soin du patient en faisant appel à des techniques psychothérapeutiques et éducatives. Comme on le fait avec les patients autistes.

Jean-Claude Liaudet

Boris Chaumette, Schizophrénie et génétique, un adn de la folie ?, HumenSciences, janvier 2024, 216 pages, 18 euros

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