Le radio-traître, Jean Hérold-Paquis, la voix de la collaboration
Historien ? Selon le Larousse : Spécialiste des sciences historiques ; auteur d’ouvrages historiques.
Ici, Pourcher se fait, non pas le biographe d’Hérold-Paquis mais le scribe attentif du bref passage terrestre du plus ordinaire des êtres, devenu – par les grâces conjointes d’un micro et des ondes – la voix de la collaboration.
Comme à l’accoutumée, Pourcher se garde bien de juger son sujet d’étude. Le mémorialiste posthume se contente – là gît le secret de son art – de le donner à entendre, le cas de le dire ! – afin de permettre au lecteur de s’approcher au plus près de l’inouï moment, le kairos ou divine surprise,qu’a constitué, pour un pays entier, la purge thermaliste. Peut-on se figurer une période plus étrange que celle où un Etat-médicastre s’était donné pour tâche et avait presque réussi à désencombrer cerveaux et intestins afin de rendre vigueur et santé à un pays vieilli et fatigué ? Pas étonnant que la propension à la diarrhée célinienne en ait reçu si belle et bonne matière, au temps où un peuple de curistes s’était vu invité au pays chimérique où, pour ne devenir ni mâcheur de chewing-gum ni Rouge, couteau entre les dents ni Rosbeef avarié, la France devait, alliée aux Vert-de-Gris, parangons de vigueur et d’équilibre, livrer la guerre aux ennemis de l’Intérieur qui, depuis 1789, tenaient le haut du pavé.
Sauver la France ! Le contrat était clair.

Sous peine de mort psychique, ses amants devaient la purger de ses éléments exogènes, les maçons, les juifs et leurs émules, les cocos – internationalistes, il va sans dire – et tous les étrangers, venus en France, à l’instar de l’étrange Anacharsis Cloots, pour s’y faire citoyens du monde, sous les sunligths de la Raison.
A la pointe sèche, au travers du destin de Paquis, Pourcher compose le plus brillant chapitre d’une histoire encore inédite des effets de la voix sur le destin des peuples.
Du pouvoir des mots, nous savons l’efficace.
Puissance jamais démentie, du vieux dit lucanien : Dis seulement une parole et mon âme sera guérie ! Pouvoir sans égal du théâtre, imprécations et murmures confondus, impact de l’art oratoire qui, aux peuples, ouvre les portes de la guerre et aux mortels, parfois, celles du ciel ! Par-delà les siècles, nous nous réjouissons encore d’entendre Mucius Scaevola calmer la plèbe au forum et jubilons de lire et de relire les belles et justes pages que Cicéron, hier, consacra au beau palais de Mémoire en son De Oratore, d’imaginer Démosthène, s’exerçant à devenir le meilleur dans son art, la bouche remplie de cailloux, peinons à nous figurer Moïse le bègue, répondant à l’appel d’un buisson ardent et savourons toujours, en dépit qu’on en ait, la prose de Saint-Just et les sermons de Bossuet …
Par le prodige de l’invention de la radio – la voix du caporal Hitler, puis du Führer, son accent bavarois, la façon particulière dont, à la manière des séducteurs bohémiens des films d’avant-guerre, il roulait les r…; l’usage qu’il faisait de rythmes contrastés, râles et souffles, cris et assertions, nous interpelle encore ; les enregistrements des interventions quotidiennes de Hérold-Paquis – plus nombreuses sur le net que celles de Simone de Beauvoir à la même Radio-Paris – disputant par-delà la Manche, avec la noble voix de Pierre Dac, le solennel appel péguyste du Général- Honneur et enfin le surgissement de cette phrase si simple, sujet/ verbe, une annonce laconique : les carottes sont cuites, qui, pour les Vaillants et les martyrs, a sonné le glas de leurs souffrances – en un instant, nous plongent, nous qui – le sort en soit loué ! – n’y étions pas, dans l’étrange ténèbre d’un temps délirant, comme si une IA malicieuse avait soudain le pouvoir de sonoriser les mots du Web en une symphonie barbare, pré ou post apocalyptique et de nous plonger dans l’inconscient d’un monde dont les Résidents se seraient soudain réveillés, privés de leur surmoi. Impression que Pourcher prétend et parvient avec un rare bonheur à restituer par son art et à lier, entier, à l’invention de la radio.
Nous, qui lisons ce livre à l’âge des réseaux qui n’ont de sociaux que le nom, sommes sommés par son auteur de suspendre tout jugement pour tenter de percevoir – sentir et éprouver-, la monstruosité au sens littéral de l’époque. Une époque revisitée au prisme d’une existence.
Paquis ? Personne. Un minable, tout juste bon à servir de modèle à un anti-héros de Simenon, pour dire le secret de l’époque, le surgissement d’un type d’individus qui, en d’autres temps, des temps plus ordinaires, n’eussent point influencé le cours des choses, la marche de l’Histoire mais qui ont connu une certaine prospérité/notoriété, au temps des années noires, au point, tapageurs, de finir, non pas dans leur lit, comme disparut la majorité des fervents du Maréchal, des attentistes, des BOF et de leurs clients mais à 33 ans, de douze balles dans la peau, par une aube blafarde, au Fort de Châtillon.
Pire ou meilleur ? Là n’est pas la question ? « Speaker de la collaboration absolue », Jean Hérold Paquis, dit Hérold- Paquis, payera, de sa vie, sa rude et ferme volonté d’arriver – ils appellent ça aller de l’avant solfiait Beckett dans l‘Innommable, le nom le plus congruent à la période.
Historien parfois rime avec écrivain, quand l’intelligence et le talent, le cas ici, se mettent de la partie. Quatre-cent-huit pages à patauger, cuissardes aux pieds et pince-nez bien ajusté aux naseaux, dans les eaux bourbeuses de Vichy, celles du calcul égoïste, avant de se retrouver, couvert de sang, de boue et d’ordures. Je ne nierai pas la grande admiration qui me lie à Pourcher, dont l’art de faire sourdre la démesure et la folie, par petites touches discrètes et pastelles, m’enchante. Rien de Michelet en lui, si ce n’est le goût des fiches et la passion des détails, celle des archives. Les faits sont les faits et Vichy ce qu’il fut : un cauchemar dûment climatisé, aux allures d’opérette et de fête patronale, qui livra le cher vieux pays à la furia germanica, en dépit du peu d’envergure de ses hommes-liges. Un sacré avertissement pour aujourd’hui !
A ce pâle Paquis, il faut accorder une qualité. Non des moindres, Paquis ne s’est jamais renié, n’a jamais cessé de témoigner de sa foi indéfectible dans le fascisme, considéré comme unique condition de possibilité du sauvetage de la France et n’a rejeté sa faute sur personne. L’honorable Pierre Dac – redoutable adversaire de Paquis – sortira meurtri d’un procès où des résistants de façade, ricanants et injurieux, chargèrent un condamné à mort. On peut être un clown et ne pas juger risible la mort d’un homme.
Si comme moi, cette période vous fascine, lisez Le Radio-traître.
Non seulement vous y découvrirez avoir lu, sans dégoût, bien des plumes qui s’étaient illustrées au temps heureux du Maréchal – preuve, s’il était nécessaire, de l’indigence de l’Épuration -, la sur-représentation des Maurrassiens et de leurs compagnons de route dans les rangs du PPF ; aussi qu’à Sigmaringen, Paquis, sur les ondes de “Radio-Patrie”, annonçait encore la victoire allemande.
Vous y prendrez la mesure de l’importance de la guerre d’Espagne dans l’avènement du fascisme européen. En effet, Paquis avait commencé sa brillante carrière à “Radio-Saragosse” où, au côté d’un chroniqueur militaire, le jeune homme se gaussait à dénombrer les cadavres rouges et célébrait les hauts-faits des Gauvain et des Perceval d’occasion derrière le Caudillo, s’enivrait de sang chaud et allait, répétant, chaque heure et chaque jour, le cri si romantique de Viva la Muerte !
Vous rirez jaune du gimmick L’Angleterre comme Carthage sera détruite, repris, à chaque intervention radiophonique.
Peut-être, fermant les yeux, sourire-vous d’entendre encore un vieux lion à tête de dogue vous promettre, d’une voix ferme, du sang de la sueur et des larmes, en écho à la voix chevrotante d’un vieillard libidineux autant que marmoréen[1], évoquant honneur et dignité, au cœur de la débâcle et accompagnant, de sa compassion, un peuple désemparé, sur les routes de l’exode ?
Surtout, sans offusquer nos écolos, vous vous offrirez un prodigieux voyage en France profonde.
Là, suivant Paquis, distribuant tracts et fanions avant les voyages du « Chef d’état français », franzosisches Stadtführer, au beau pays gapençais, vous verrez, en un homme, dessinée la métaphore d’un régime folklorique qui, pour ses seuls opposants et ennemis, les enfants d’Izieux et de tous les refuges, a eu les visages d’Aloïs Brunner et de Klaus Barbie.
Au fil de votre lecture, vous verrez surgir deux pays, le pays réel, cher Maurras – celui de Papon et de Mitterrand et la patrie imaginaire de Jean Moulin. Vous verrez resurgir la terre de ceux qui sont morts en criant Vive la France quand même ! ou Vive le parti communiste allemand et le pays de ceux qui ont emprisonné, torturé et livré à la mort les meilleurs de ses fils. D’un côté, le pays qui bruit encore des coups répétés, à l’aube, aux portes du Paris populaire, un lendemain de fêt nat ; celui qui, pour jamais, a conservé, mémoire ardente, l’éclat du regard des lycéens de Janson de Sailly, abattus pour intelligence avec Carthage ; celui qui conserve, immarcescible, la cicatrice de la haine portée par un Sénat et un peuple envers la vieille Bérénice et au tréfond de son délaissement, apparaître à nouveau les visages de Tom Morel et de tous ses camarades de tous les maquis de France et de l’autre, le bon vieux pays réel.
Quel est-il ce pays si vanté si loué que le cloaque intact de ceux qui n’aimaient, cher Brassens, ni les Tommies ni les Teutons, le pays du béret basque et de la baguette, des Fenouillards, toujours persuadés que Saint-Rémy-sur-Deule est le centre du monde, doux pays des régions-qui-ont du talent : félibrige, bretonne ou autre, légitimement tombé, du folklore maréchaliste au tourisme de masse, des bordels à Chleuhs à l’injonction de la fête perpétuelle, le pays qui, en choisissant de collaborer, a librement cédé ses droits à l’honneur et à la dignité : cessé de mériter que, devant son drapeau, le passant vienne et prie.
Le ton de Pourcher ravit qui rappelle la gouaille mélancolique du grand Léo Malet : Rébecca rue du Château.
Sous un pont de chemin de fer du Paris des barrières, les flics découvrent, à l’aube, un cadavre de femme, la dactylo de Paquis, nue, sous un cache-sexe. Pourcher/Burma enquête. Rue du château, comme au pont de Tolbiac, le brouillard est roi. En dépit de ses efforts, le capitaine Burma/Pourcher n’est pas parvenu à retrouver ses assassins, pas plus qu’il n’a réussi à retrouver Elise ; la dernière compagne de Paquis, une jeune personne, selon le cœur de Céline, bien pure et bien propre – il le faut pour laver les chaussettes et les âmes des crapules – : morte, quarante-huit ans après l’exécution de l’amant qu’elle avait suivi jusqu’à Sigmaringen, à soixante-treize ans, sans jamais s’être mariée.
À elle aussi, le souvenir, sans doute, lui en était resté doux…
Sarah Vajda
Yves Pourcher, Le radio-traître, Jean Hérold-Paquis, la voix de la collaboration. Le Condottiere, 460 pages, septembre 2025, 24 euros
[1] Le mot est de Montherlant dans son si injustement décrié Solstice de juin. L’adjectif le désignait comme déjà mort, tel qu’en lui-même, l’éternité le fige…
