15 août 1811, le début de la fin ?
Un des meilleurs jeunes historiens
Depuis la parution de sa biographie de Marie-Louise (Perrin, 2017), on se doit d’avouer qu’on ne lâche plus Charles-Eloi Vial. Archiviste paléographe, docteur en histoire, il dispose de vastes connaissances, d’une grande capacité de synthèse, d’un sens inné du récit sans compter, dirait ma mère, qu’« il n’écrit pas trop mal pour un historien ». C’est d’autant plus remarquable qu’il a choisi de se consacrer à une période (la Révolution et l’Empire) qui ne manque pas d’historiens talentueux : Jean Tulard bien sûr mais aussi Thierry Lentz, Patrice Gueniffey et puis Emmanuel de Waresquiel. Après avoir écrit un ouvrage remarquable sur la captivité de Louis XVI et sa famille, La Famille royale au temple (Perrin, 2018), le voici qui revient avec un 15 août 1811, un évènement méconnu qui marquerait le début de la fin pour Napoléon. Qu’en est-il ?
Un évènement oublié
Que se passe-t-il donc ce jour-là ? Le 15 août, c’est la saint Napoléon, fête instituée pour un saint jusqu’ici méconnu par une église catholique reconnaissante envers l’instaurateur du concordat. Pourtant, Napoléon est plutôt maussade. La crise économique règne dans son Empire, la guerre d’Espagne n’en finit pas et la Russie, censée être son alliée depuis Tilsit, a décidé d’ouvrir son territoire aux marchandises anglaises. Le nouvel Alexandre, désormais un peu bedonnant, songe à une nouvelle guerre, non sans appréhension.
Napoléon, comme souvent, va provoquer un esclandre avec l’ambassadeur de Russie, Kourakine. Il va railler le comportement des soldats russes face aux ottomans, se moquer du manque de stratégie des généraux… Bref, Napoléon fait une scène. Ce n’est ni la première, ni la dernière mais elle marque, symboliquement un tournant.
Une domination fragile
Le mérite de notre historien est de revenir sur un évènement de la micro-histoire mis de côté depuis les historiens du XIXe siècle comme Thiers. Cependant la force de sa démonstration est redoublé par le portrait très contrasté qu’il offre de l’Empire aux 130 départements. Les tensions religieuses née du conflit avec le pape Pie VII, minent la légitimité de Napoléon. L’Allemagne déteste la domination française et l’Italie renâcle. La France elle-même rechigne sous la férule, rêvant de paix définitive par peur de la conscription. Les élites envisageraient sans déplaisir un remplacement de Napoléon par son frère dans le cadre d’une régence au nom du roi de Rome. Quant aux militaires, ils redoutent un affrontement avec le géant russe…
Le destin de Napoléon ?
En refermant ce livre, l’impression d’avoir assisté à une course à l’abîme prédomine. Pouvait-elle être évité ? Non pour notre auteur qui estime que la guerre est dans l’ADN de la domination exercée sur l’Europe par Napoléon. Pour autant, doit-on dater de 1811 le début de la fin de l’Empire ? La guerre d’Espagne n’est-elle pas un « meilleur » tournant, qui voit Napoléon abandonner ses derniers oripeaux de révolutionnaire pour se faire despote ?
En tout cas, ce livre est excellent.
Sylvain Bonnet
Charles-Eloi Vial, 15 août 1811 l’apogée de l’empire, Perrin, avril 2019, 432 pages, 24 eur