5 bis rue de Verneuil, l’antre de Serge Gainsbourg
Dans une petite rue parallèle au Boulevard Saint-Gerain se trouve une maison dont les murs sont couverts de graffitis, de tags, de mots d’amour et de citations. Ce mur est l’hommage de tout un peuple à un des plus grands artistes du XXe siècle, et derrière lui se cache la maison de Serge Gainsbourg.
« C’est mon livre d’or. Ceux qui passent, amis ou fans, griffonnent quelque chose. »
(Serge Gainsbourg, 1989)
C’est le grand photographe Tony Frank, qui suit les stars depuis l’époque de Salut les copains, et qui a fait la couverture de l’album Melody Nelson, qui a pu pénétrer l’antre de l’homme à la tête de chou. Après un beaux-livre qui rassemblait tous les portraits de Gainsbourg (1), nous découvrons maintenant ce lieu extraordinaire qui a protégé sa famille et fut témoin de ses créations.
Pièce après pièce, pénétrons…
Un fouillis organisé, des murs et des plafonds noirs, des fenêtres calfeutrées, des étagères encombrés, une ambiance de grotte artiste où tout fait sens, des œuvres d’art aux jouets offerts par des enfants et dont il ne pouvait se défaire, des photographies de ses muses (Maryline Monroe, Edith Piaf, Brigitte Bardot, Jane Birkin) aux écorchés à tête de choux. Car de toute ses vies Serge Gainsbourg a fait des strates, ainsi ce désordre apparent marque bien plus un archéologie personnelle qu’un éparpillement. Comme dans la salle de bain où tous les parfums de Jane Birkin sont alignés, inchangés, comme si elle allait revenir… La pièce la plus significative à ce propos est la chambre des poupées, pleine de toutes ses vie : la collection de poupées de Jane Birkin côtoie les coupures de presse sur la famille Serge, Bambou et Lulu. Encore une pièce où personne n’allait, encore une pièce enfermée dans le noir.
Les couloirs eux-mêmes sont des espaces dessinés : noirs de haut en bas, couvert d’affiches et de portraits encadrés…
Seule pièce presque claire, à cause du grand carrelage blanc à cabochons noirs, le salon où règne la musique : son grand piano, des disques, ses disques d’or, des portraits de Charlotte, ses partitions, ses magnétos.
Au coeur de la maison, la bibliothèque où Serge Gainsbourg s’isole, lit, écrit, passe ses coups de téléphone importants, toujours dans un noir que ne perfore que la lumière électrique des lampes. Autre havre, la chambre où il transpose le décor noir vu chez Salvador Dali dans les années 50.
[…] un compagnon de vie qui maintenant, sans lui, lui reste fidèle. »
Un musée ? ou un lieu de recueillement ? La maison est restée telle quelle, personne ne l’habite plus sinon le souvenir des chansons et des femmes, une certaine odeur de cigarette. Et tous ses portraits de lui, seul ou avec ses effigies (son « guignol de l’info », ses marionnettes).
C’est un désordre organisé, très précisément, qui peu à peu révèle son ordre propre. Une table pleine de bibelots ? Certes, mais ils sont parfaitement alignés. Un mur d’extraits de journaux qui réutilisent son expression « je t’aime, moi non plus », mais parfaitement encadrés.
Peu d’artistes ont un univers si fortement projeté dans sa maison, si bien qu’absent maintenant depuis le 2 mars 1991, la maison reste absolument intacte, un témoignage de sa personnalité et du besoin qu’il avait de se protéger du monde. Sa maison comme un lieu où être soi, tout simplement, où se projeter et avoir, enfin, une image positive de soi.
Loïc Di Stefano
Tony Frank, Gainsbourg 5 bis rue de Verneuil, (micro) préface de Charlotte Gainsbourg, E/P/A, 180 pages, 29,90 euros
(1) Serge Gainsbourg par Tony Frank, Le Seuil, septembre 2009, 168 pages, 18 euros
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