Michel Maffesoli, Contre l’orthodoxie de la bien-pensance

L’année 2020 aura amené son lot de croyances obligatoires, et l’usage du terme de « complotisme » par l’orthodoxie de la bien-pensance n’aura jamais fait autant recette. De quoi se pencher sur La Force de l’imaginaire, qui nous parle d’une notion importante dans cette grande mascarade contemporaine, interdisant formellement le doute (qu’il soit cartésien ou sceptique) et l’esprit critique (pourtant cher à nos Lumières allemandes du XVIIIe siècle !), celle de la force de l’imaginaire.

L’obsession des élites

Nul besoin de présenter Michel Maffesoli, qui est sociologue, professeur émérite de la Sorbonne, qui est l’un des plus grands observateurs de la postmodernité, de l’imaginaire et du quotidien.

Huxley, en son temps, prédisait un totalitarisme scientifique qui était en train de s’établir sur le monde. Il ajoutait d’ailleurs à ce propos : « Il est peut-être déjà trop tard pour lutter. Ce n’est pas une raison quand même pour essayer de s’y opposer par toutes ces forces ». On peut même dire que cette seule phrase est la clé qui permet de comprendre la lutte des vingt dernières années de l’auteur du Meilleur des Mondes. On peut aussi dire que, toute proportion gardée, Michel Maffesoli reprend ce combat à son compte, dans la mesure de ses moyens.

Les élites (en faillite) ont la religion du progrès, la religion de la science, ce qui est en décalage avec les ambitions et les désirs du peuple, avec lequel, ils sont de plus en plus déconnectées. Ces élites (faites de hauts-fonctionnaires craignant ces masses populaires) ne savent plus écouter la sagesse populaire, qu’ils voient avec contemption, hauteur et soupçon. Ce qui est populaire est alors aussitôt transformé en « populisme ». C’est aussi cette élite qui est le grand timonier de la bien-pensance.

Peut-être à rappeler que la pensée postmoderne intervient quand il s’agit de surmonter le désenchantement du monde, suite à la désagrégation des repères culturels ou religieux propres à la modernité. Cette pensée est apparue en réaction à l’échec patent des utopies révolutionnaires. La bien-pensance arrive donc à ce moment-là, qui est par définition un ensemble d’idées conformistes et soumises au politiquement correct.

La crise civilisationnelle dans laquelle nous sommes entrées depuis quelques mois, est l’expression même d’une postmodernité qui tremble, parce que les élites vivent une crise profonde, leur « anachronisme agonisant » est de plus en plus fragile. C’est selon Michel Maffesoli « un fatras idéologique, où l’on retrouve en un mélange indigeste individualisme, rationalisme et l’inévitable utilitarisme ».

L’erreur de la bien-pensance

L’auteur voit que les oligarchies pressentent que leur pouvoir est en train de s’achever ; ils voient la fin du règne de la technocratie qui ne résistera pas longtemps à la puissance populaire. Ce « totalitarisme doux qui s’insinue dans le militantisme scientiste de la bien-pensance des élites modernes » est en réalité en faillites et le pouvoir mène des combats d’arrière-garde. D’autant qu’il y a une chose qu’il faudrait qu’ils aient à l’esprit, Maffesoli le dit ainsi : « le Réel c’est ce qui est possible que par l’irréel. »

C’est d’ailleurs dans cette faille que s’insinue la force de l’imaginaire contre les bien-pensants. Les fameux experts que l’on autorise à penser à la place des autres, ne sont finalement plus écoutés de personne. Car on n’écoute plus les lubies et mensonges du pouvoir, car « il n’y plus rien de nouveau sous le soleil de Satan ».

Ce que nous montre Maffesoli dans La Force de l’imaginaire, c’est que cette élite mondiale est endogamique et s’est abstratisée, au point d’affirmer des fausses vérités mais avec arrogance. Cette déconnexion et ce mépris pour le peuple, quand ce n’est pas une haine pour le peuple, s’est vue durant la crise des gilets jaunes, jusqu’à créer une méfiance durable vis-à-vis des intellectuels (appelés « experts » aujourd’hui), des responsables politiques, et des journalistes.

La défaite des élites

Les jocrisseries, fêtes pseudo-culturelles ou intellectuelles, débat télévisés et autres “animations”, mais aussi les interminables pseudo-échanges “entre soi” qui saturent les ondes et les colloques universitaires constituent, tout simplement, un déni du réel. Ne pas (vouloir) voir ce qui est là. Ce qui crève les yeux ; la condamnation de notre fausse conscience. Ce dont on a mauvaise conscience. D’où la nécessité d’une pensée radicale. Pensée allant à la racine des choses.

On peut donc désormais comprendre cette ère du soupçon se levant vis-à-vis du journalisme aujourd’hui, ou des mass-media, moins inquiet de vérité que d’être une « page de variété ».

C’est quand le pouvoir restera ancrée dans la puissance populaire que marchera la société, ce qui est clairement de l’ordre de l’idéal démocratique. Or, que vivons-nous, selon Maffesoli ? Une démocratie qui n’est plus le pouvoir du peuple, mais le pouvoir sur le peuple. Et si l’on veut sortir de ce piège alors « on ne s’adresse toujours qu’à quelques-uns », ceux-là même qui tentent de ne point être des esprits asservis. La bien-pensance fera pourtant le reste. Car, aller contre la bien-pensance, c’est prendre le risque de se marginaliser ; c’est prendre le risque d’être ostraciser par la « République des bons sentiments »  ; c’est même « parfois dangereux de transgresser » cette bien-pensance. Il est de bon ton pour la bien-pensance de dénigrer les idées neuves, pour les reprendre mais en les affadissants.

La trahison des clercs !

En 1927, Julien Benda par cette formule condamnait surtout les intellectuels s’engageant au nom de l’idéologie en faveur de causes extrémistes. En 2019, Mafessoli condamne les intellectuels qui s’engagent en faveur de la bien-pensance, qui en deviennent les gardiens et les garants. L’idéologie politique devient alors un faire-valoir, pour « de faux savants » mais de « vrais escrocs ». C’est cela la trahison des clercs pour Maffesoli, c’est le « progressisme » qui est en réalité un rejet en bloc de « toute audace de la pensée », avec cette pratique sans âge de la « dépendance de l’employé vis-à-vis du chef de service, de l’étudiant envers son professeur […] la perdurance de pratique quasi-féodales, clientélistes, mafieuses. » Pseudo-progressiste en faite, la bien-pensance est le « fourrier de l’immobilisme ».

C’est ce que l’on peut considérer comme la défaite des élites, avec cette ubérisation de la pensée, leur manque de courage, leur décadence. Contre la modernité des élites s’opposera l’histoire ; les utopies changent avec les changements de fond. Voilà ce que nous apprenons en lisant La Force de l’imaginaire, passionnant essai sur cette postmodernité décadente, sur la fin, en transition…

Un pamphlet plein de bon sens, pertinent et juste.

Marc Alpozzo

Michel Maffesoli, La Force de l’imaginaire contre les bien-pensants, Éditions Liber, janvier 2019, 160 pages, 18 eur   

On découvrira avec plaisir le travail des éditions québécoises Liber.

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