Les douces choses, Alice Dekker raconte Louise de Vilmorin

Pour ceux qui aiment l’œuvre élégante (mais un peu démodée) de Louise de Vilmorin, le livre d’Alice Dekker, Les Douces choses, arrive à point nommé. Non qu’elle se soit lancée dans une biographie de la romancière, il ne s’agit nullement de cela, mais parce qu’une femme parle d’une autre femme, en essayant de comparer sa propre vie, ses peines, ses amours, ses joies, ses défaites, avec celles de son modèle. La méthode est fort risquée, et pourrait paraître à juste titre fort prétentieuse. Ce n’est pas le cas : les deux femmes cohabitent dans le même livre, chacune à sa place, chacune à son époque, et le résultat est satisfaisant. 

Femme de lettres et de voyages

Encore faut-il accorder un minimum d’intérêt à cette grande dame qui écrivit, entre autres, Madame de, et Sainte Unefois. Louis de Vilmorin est née en 1902 et morte en 1969. Elle habitait la propriété de Verrières le Buisson, près de Paris, maison de la famille des Vilmorin, grainetiers bien connus. Femme de lettres et de voyages, avant d’être mondaine, amie des écrivains de son temps, comme Cocteau ou Malraux, elle tenait salon avec eux, comme on imagine ces femmes du XVIIIe siècle, qui ont laissé un nom dans l’histoire littéraire de la France. 

Alice Dekker nous raconte tout cela, par petites touches successives, sans jamais tomber dans l’ennuyeuse compilation hagiographique. Et parallèlement, elle incruste dans son récit des morceaux de sa propre vie, ou du moins d’une existence racontée à la première personne, que l’on suppose être la sienne. Comme Louise, Alice a des amis, des amants, des maris, une maison, puis une autre, des déménagements fastidieux, qui laissent à quai des bonheurs perdus. Comme Louise, Alice écrit bien, regarde le monde avec des yeux étonnés, parfois déçus, parfois enfantins. Comme Louise, Alice est une femme à la sensibilité douce, mais dotée d’une belle et subtile lucidité. 

l’« Eternel féminin »

Ce petit livre s’enroule ainsi, autour de la personnalité de deux femmes d’esprit, dont les différences bien réelles ne masquent pas les points de convergence. Quelle que soit l’époque, c’est bien de l’« Eternel féminin », qu’il est question ici, à travers le portrait original d’une écrivaine (au diable l’horrible mot d’autrice), célèbre naguère, un peu oubliée, mais bien ressuscitée par une autre écrivaine, à un autre siècle.

 Alice Dekker change-t-elle de vie, avec un autre homme qui s’appelle Charles ? Elle raconte :

Patiemment, nous avons commencé de construire cette minuscule société, que forme un couple, avec son territoire, ses codes, ses rites, ses secrets, et même son langage, et, ainsi que Charles s’y était engagé, l’amour a cessé pour moi d’être une inquiétude.

Dans cette acceptation, un peu de Louise de Vilmorin s’est subrepticement infiltrée, car il est évident que l’une des deux vit sous le charme lointain de l’autre. Et nous, tout aussi paisiblement, sous le charme discret de ces Douces choses

Didier Ters

Alice Dekker, Les Douces choses, Arléa, 160 pages, avril 2022, 17 euros

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