Céline, de la guerre plein la tête

Blessé, Ferdinand échoue dans un hôpital, à Peurdu-sur-la-Lys, dans le nord de la France. En 1914. Le front n’est pas loin, il avance, il recule, on entend le canon allemand. Touché à la tête, il entend divers tintamarres, il lui arrive aussi de voir défiler ses compagnons descendus au combat. Bref, il a la fièvre, il hallucine pas mal. Mais surtout, il le dit :

Le coup qui m’avait tant sonné si profondément ça m’avait comme déchargé d’un énorme poids de conscience, celui de l’éducation comme on dit, ça j’avais au moins gagné. Même à bien regarder, j’en avais plus.

Et il ajoute :

Je devais plus rien à l’humanité.

La guerre, il va la continuer. Contre l’humanité entière, ce que ce livre illustre.

Plus trash tu meurs

Notre blessé se retrouve d’abord entre les mains de l’Espinasse, une religieuse folle du pénis. Elle les sonde, elle les branle, voilà ses motifs de jouissance. Hélas Ferdinand est trop bien portant, elle l’abandonne vite pour un unijambiste que l’on vient d’amputer. Et elle ne dédaigne pas les cadavres lorsqu’ils sont encore frais. Bébert, son compagnon de chambrée, est un souteneur qui fait venir sa femme Angèle au village. Laquelle le dénonce pour automutilation, il s’en trouve fusillé comme déserteur… Suit une scène sexuelle où Ferdinand partage les ébats d’Angèle et de son client…

Je donne ces quelques éléments pour situer l’ambiance du livre : trash ! Nous pataugeons dans la guerre, toutes les guerres, il n’y aura plus jamais que la guerre sur terre. Céline se roule dans la guerre, il devient une guerre en mouvement, il le dit : « j’ai attrapé la guerre dans ma tête » Il l’a épousée, pour la vie. Le seul mérite de ce livre, s’il en est un, est de nous en foutre plein la gueule – pour parler comme Ferdinand Céline. De ce point de vue, c’est une réussite ! L’écriture est efficace, la langue parfaitement troupière… Ferdinand ne cesse de vomir, le lecteur aussi… On sait qu’il fera bientôt mieux, en pire, avec ses bagatelles antisémites.

Autrement dit :

Faudrait moi aussi que je me trouve un truc bien délirant pour compenser tout le chagrin d’être enfermé pour toujours dans ma tête.

Voilà le programme d’une vie ! D’une œuvre. Vengeance !

Le seul passage qui présente à mes yeux un intérêt, ce sont les dix premières pages où Ferdinand se réveille, allongé dans la boue, blessé, sonné. Les seules à ne pas être haineuses. Autour de lui les cadavres de ses amis. Tout le reste en découle… On dirait aujourd’hui qu’il a tourné terroriste, en littérature.

Un manuscrit perdu et retrouvé

Le livre a fait l’objet d’une publicité efficace : son existence est en elle-même un roman. Fuyant devant les alliés ses amis pétainistes réfugiés à Sigmaringen pour se retrouver prisonnier au Danemark en 1945, Céline ne cessera de clamer qu’on lui avait volé les manuscrits qu’il avait abandonnés dans son appartement parisien : Guerre, Londres et La Volonté du roi Krogold. Il s’en plaindra souvent, il en fera un leitmotiv : salauds de résistants ! Ceux-même qui en voulaient à sa peau !

On connaît sans doute l’histoire : le résistant Yvon Morandat aurait récupéré les 6 000 feuillets à la Libération, afin de les préserver. À sa mort, sa fille Caroline les aurait découverts par hasard dans la cave de l’appartement familial, elle les aurait confiés à Jean-Pierre Thibaudat, journaliste à Libération, à deux conditions : qu’ils ne soient pas restitués à Lucette, la femme de Céline, et que leur origine reste secrète. Il aura donc fallu attendre la mort de Lucette Destouches pour que les trois romans réapparaissent.

A son retour d’exil en 1951, suite à son amnistie, Yvon Morandat aurait tenté de restituer à Céline les fameux papiers. Ce dernier aurait refusé, qualifiant ses manuscrits depelures et de brouillons. Commentaire de Jean-Pierre Thibaudat (1) : « Céline ne se départira jamais de la position victimaire qui lui sied ». C’était son fond de commerce, il va fructifier avec ce livre posthume.

Mathias Lair

Céline, Guerre, Gallimard, « Folio », octobre 2023, 224 pages, 8,10 euros

(1) De Thibaudat, on lira avec intérêt son récit de la découverte des manuscrits de Céline, Louis-Ferdinand Céline, le trésor retrouvé.

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