Amélie Antoine, Ne vois-tu rien venir ?
Traiter du harcèlement scolaire n’est jamais simple, surtout quand on ne veut pas faire acte de moralisation. Faire vivre les situation, faire comprendre aux jeunes lecteurs en les immergeant directement au cœur du processus qui lie un bourreau à sa victime, c’est tout l’enjeu de Ne vois-tu rien venir ? d’Amélie Antoine.
La victime et le bourreau
Quand une fille populaire cache sa maladie pour ne pas perdre son statut, elle ne trouve rien de mieux que de pointer l’attention des autres sur une nouvelle, devenue souffre-douleur pour détourner l’attention… Dans le processus de harcèlement scolaire, il faut une victime et un bourreau. Sarah la fille populaire sera le bourreau d’Orlane, la nouvelle, un peu perdue, un peu trop faible pour se défendre seule contre la meute lancée sur elle. Pourtant, à part essayer de passer inaperçue…
Orlane va subir un véritable enfer, dans l’établissement et en dehors. Des moqueries, des insultes, des mensonges et des méchancetés pour la discréditer. Rien ne lui sera épargné – ni au lecteur… – pour l’humilier. Les souffrances psychologiques sont profondes et le niveau de pestitude de Sarah est très haut. Tout comme celui de veulerie de ses camarades, et celui de lâcheté des autres, surtout les adultes… Et l’accumulation devient une vraie haine, dont on connaît l’origine mais dont on peine à comprendre les proportions que cela prend, sinon à concevoir un emballement propre à la haine qui n’a besoin que d’un objet pour s’épancher.
Y aura-t-il un peu d’amitié et d’espoir dans cette charge oppressante et très noire ? Quelle stratégie la victime va devoir mettre en place, en plus des mécanismes naturels de défense en pareil cas, pour résister, tenir sous le poids des assauts constants et, même, peut-être, se relever ?
Le roman d’un fléau social
Y en a qui ne sont pas vraiment gâtés au départ, c’est quand même pas de pot d’avoir l’air nickel de face et d’être un monstre de profil, quoi ! Je sens qu’on va bien s’amuser avec elle. J’ai l’instinct pour ça
Proposant un nouvel angle de vue sur la trame du roman Raisons obscures (XO, 2019), sans doute l’un de ses meilleurs, Ne vois-tu rien venir ? reprend les personnages des enfants et se focalise sur eux plutôt que sur les parents. C’est une étude forte et poignante sur les mécanismes de harcèlement scolaire, et la construction du récit par alternance des voix de la victime et de son bourreau, avec le déroulé de toute une année scolaire,
Le récit emporte jusqu’au dénouement final très fort et inattendu, mais il est très dur, parce qu’il immerge littéralement le lecteur dans la violence et l’esprit des protagonistes. C’est une plongée terrible et juste dans le fléau qu’est le harcèlement. Mais aussi un message adressé aux témoins, pour s’engager dans l’action et agir, ne pas croire que les conséquences sont anodines. Ne vois-tu rien venir ? est un roman important, qui doit servir à éveiller les consciences bien au-delà du lectorat des adolescents visés.
Loïc Di Stefano
Amélie Antoine, Ne vois-tu rien venir ?, Syros, février 2024, 304 pages, 15,95 euros