« Après Constantinople » le voyage dans un ailleurs où la raison s’égare


L’Orient est-il décidément si compliqué que nul ne trouve d’explication à ses mystères, à ses envoûtements ? Il est à croire que c’est là mission impossible, si l’on suit Sophie Van der Linden, et le « héros » de son dernier roman Après Constantinople. Héros malgré lui, par la grâce d’une histoire admirablement contée, qui emmène le lecteur dans un ailleurs où la raison s’égare.

Un peintre, donc, voyage au XIXesiècle dans un Orient ni Proche ni Moyen, quelque part dans les montagnes de l’empire ottoman, mi-Levant, mi-Balkans, loin de tout. Ce peintre français veut rentrer chez lui, à Paris, à une époque où, sans avion ni train, les périples se comptaient en semaines. Encore fallait-il prévoir des guides, des vivres, des chevaux, la présence de soldats, dont on ne sait qui ils combattent, ni pour quel sultan. 

C’est pourtant la rencontre d’une femme qui va changer le voyage du peintre, et lui imposer d’étranges détours. Cette femme, princesse ou prostituée, ou les deux, aime la peinture et l’art ; elle vit dans un palais introuvable, entouré de forêts, plus prison que château, dont on ne s’évade pas. Ce peintre, qui n’est curieusement jamais nommé, pose des questions qui n’ont pas de réponse, s’interroge sur le monde qui l’entoure, et finalement sur lui-même, sur sa vie devenue errante, et le but qu’il poursuit. Lui, le faiseur d’images, le peintre des corps et des arbres, doit-il aussi peindre les âmes ?

Il faut le superbe style de Sophie Van der Linden, et son imagination féconde, pour l’accompagner dans ce magnifique voyage initiatique, aux dialogues tendus et secs, ponctué de lettres inattendues, d’une douceur poétique riche de toute la sensualité orientale. Une fois le livre fermé, après seulement 140 pages d’un dépaysement assuré, on se prend à rêver d’une suite, d’un deuxième tome, en quelque sorte. Pour retrouver le charme d’un récit intime, et le talent d’une romancière accomplie.

Didier Ters

Sophie Van der Linden, Après Constantinople, Gallimard, « sygne », janvier 2019, 160 pages, 15 eur

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