Ardoise ou Djian tel qu’en lui-même

François Mauriac a adapté l’adage à sa façon : Dis-moi qui tu lis je te dirai qui tu es. Ce que tente Philippe Djian en se présentant à travers les figures d’écrivains célèbres.

Philippe Djian a été le lauréat de cinq prix littéraires, il présida le jury du Prix du livre Inter, ses romans ont connu plusieurs adaptations cinématographiques, il reste cependant un auteur populaire. Au-dessus de lui persiste un plafond de verre qui l’empêche d’accéder à une reconnaissance littéraire.

Une inévitable mégalomanie

Voilà un refus difficile à endurer, puisque s’engager pleinement dans l’écriture comme l’a fait Djian ne peut se faire qu’en lâchant la bride à son intime mégalomanie (sous peine sinon de rester un amateur). Il faut bien, au moins dans le moment d’écrire, laisser la première phrase nous guider sur les chemins de la création, nous voguons alors toutes voiles dehors, en toute puissance… Plus tard la relecture nous ramènera à plus d’humilité, mais il y a eu ce moment de grâce auquel on retournera… 

On comprend que Philippe Djian vilipende l’establishment littéraire, soit les culs serrés du quartier latin, et tout ce qui renvoie à l’école et l’université, puisqu’ils ne lui accordent pas sa vraie valeur… Concernant « l’ennuyeuse, l’exsangue préface » de Valéry Larbaud à Tandis que j’agonise de William Faulkner, il préconise :

Le lecteur français doit donc arracher les pages de cette préface.

Il salue par ailleurs Hemingway déclarant « qu’il avait mis K.-O. Maupassant et Tourgueniev et qu’il s’apprêtait à en faire autant avec Melville et Dostoïevski ».

Il nous donne ainsi la permission de pratiquer avec lui aussi le noble art.

Le style, rien que le style

Dans Ardoise, la réédition chez J’ai lu d’un livre déjà paru en 2002, Djian nous propose une défense et illustration de lui-même à travers dix écrivains : J. D. Salinger, Louis-Ferdinand Céline, Blaise Cendrars, Jack Kerouac, Herman Melville, Henry Miller, William Faulkner, Ernest Hemingway, Raymond Carver et Richard Brautigan. Le récit de ses lectures est pour lui l’occasion de nous donner des indications sur son art d’écrire, principalement sur la question du style qui n’est en rien pour lui une affaire de joliesse ou de correction. Sa lecture de L’Attrape-cœurs de J. D. Salinger en fut la révélation :

Dès les premiers mots, écrit-il, se produisait un éblouissement, on était emporté dans un courant, par une musique si inhabituelle que des frissons vous parcouraient des pieds à la tête.

Le style pour lui ne s’apprend pas à l’école, pas en suivant les cours d’un master d’écriture créative à l’université. Le style pour lui est l’affaire d’une vie : il faut s’être forgé une vision du monde pour avoir un style. Il faut avoir fait la route, comme Kerouac. 

Il dit encore, à propos du personnage de L’Attrape-cœurs :

« Il s’est passé une chose étrange, à mesure que j’écoutais Holden j’eus tout à coup le sentiment que ce n’était pas moi qui allais vers lui, mais l’inverse ».

Soit le récit d’une fascination que j’ai moi-même connue à la lecture de son roman 37°2 le matin : j’ai eu le sentiment qu’il avait écrit pour moi ma propre histoire… hélas je déchantai lorsque j’appris ce qu’il en dit :

« Ce qui m’intéressait était de raconter une histoire con, mais de l’écrire bien ».

Le style, donc, toujours et encore le style, à quoi on reconnait le véritable écrivain… Pourquoi cette insistance ? Sans doute pour toucher en plein cœur les élitistes qui le dédaignent ? Oserai-je dire que cet excès produit chez moi l’effet contraire à celui attendu ? Qu’elle lève en moi un doute ? Puisque je n’ai jamais vu en Djian un styliste, mais plutôt un habile raconteur d’histoires prenantes qui font son succès. Citation :

« Le problème vient également du fait que tous les écrivains s’imaginent avoir un style. Vous n’en verrez jamais un prétendre qu’il écrit mal et n’a reçu aucun don du ciel ».

De Djian pour Djian.

Mathias Lair

Philippe Djian, Ardoise, Autoportrait d’un amoureux des livres, J’ai lu, septembre 2023, 125 pages, 6,90 euros

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