Out of Order, la cabine de l’angoisse

Un vendredi soir, un technicien interrompt les travaux de réparation des ascenseurs. Quatre personnes se retrouvent piégées dans l’un d’entre eux. On compte parmi eux un voleur, deux anciens amants et un coursier. Ils vont devoir supporter une situation intenable durant quarante-huit heures, en espérant qu’elle ne dégénère pas…

Le retour en grâce du genre horrifique au box-office depuis deux ans (cf. les succès de Smile, Terrifier, Scream ou M3GAN) a permis de rappeler que l’économie de moyens n’était pas forcément synonyme d’échec, surtout à l’heure de la prépondérance des mastodontes super-héroïques. Tombé en désuétude pendant près d’une décennie, le cinéma d’épouvante revient sur le devant de la scène, pour le pire et pour le meilleur, avec son lot d’idées et ce soupçon d’inventivité qui lui donnèrent ses lettres de noblesse (souvenez-vous de Massacre à la tronçonneuse ou d’Halloween), notamment durant les années quatre-vingt.

Et justement, Out of Order appartenait à ces petites productions indépendantes, nanties d’un budget dérisoire, mais bénéficiant d’un savoir-faire artisanal indéniable. Certes, il s’avère impossible de le classer strictement dans la case horrifique (pas de meurtres ou d’excès gore à l’horizon). Cependant, un vent de terreur le traverse tout comme les œuvres citées plus haut. Premier long-métrage réalisé par Carl Schenkel, Out of Order prouvera que l’Allemagne est aussi capable de verser dans le genre et deviendra très vite la coqueluche des vidéoclubs. Naviguant sur le succès d’une autre référence sortie un an plus tôt, L’Ascenseur, le film germanique se concentre quant à lui, sur l’atmosphère anxiogène qui va régner pendant plusieurs heures au sein d’une cabine suspendue à cent mètres du sol. Le temps est venu de s’accrocher pour les quatre protagonistes !

Ascenseur pour l’échafaud

Un couple fraîchement formé entame une séance de préliminaires sous les yeux médusés d’un témoin de fortune. Pendant ce temps, un homme tente de chercher une issue, risquant sa vie tandis que toutes ses certitudes ont été ébranlées dernièrement. La tension sexuelle palpable se mélange à la montée d’adrénaline dans une scène clé, menée de main de maître par Carl Schenkel. Ici, le salaire de la peur se paie en bravant le vertige lors d’un numéro de haute voltige. But commun à ce groupe constitué à l’improviste, s’extraire d’une condition infernale et ubuesque.

Objectif du cinéaste, entretenir le malaise avec style et surtout un minimum de savoir-faire pour éloigner toute caricature. Et force est de constater que Carl Schenkel brille dans ce numéro d’équilibriste, maintenant la pression aussi bien sur le spectateur que sur les personnages, non pas en déployant un florilège d’images sanglantes ni en s’appuyant sur de quelconques effets sonores grandiloquents, mais en se concentrant sur ce huis clos et sur le comportement des uns et des autres à l’intérieur d’un espace confiné.

Vertige social

Pour le quatuor, dans l’incapacité de communiquer avec l’extérieur (comme quoi il est difficile de concevoir un tel synopsis aujourd’hui avec le téléphone cellulaire), il devient vital de cohabiter, mais aussi d’imaginer une solution salvatrice ou de passer le temps. Et c’est durant ces moments interminables que l’art de Carl Schenkel excelle, lorsqu’il s’amuse avec les nerfs de ses protagonistes que ce soit en raison du danger ou des bruits irritants d’un jeu vidéo portable (ah l’ère du game & watch). Voilà pourquoi on regrette que la montée de l’angoisse ne s’effectue ensuite que par des plans ostentatoires sur la destruction progressive des câbles de l’ascenseur et sur la mise en place d’un compte à rebours de fortune. Cette démonstration pâtit d’un passage en force qui contraste avec les belles velléités affichées jusque là. Or cette tendance à l’illustration culmine avec le tableau social audacieux, mais un poil maladroit esquissé dans le tumulte ambiant.

Il faut reconnaître en effet qu’Out of Order se distingue moins dans son constat sociétal amer, bien plus animé par la lassitude et la rancœur des prisonniers du jour que par une quelconque finesse. Pourtant, derrière la rage et le désespoir se dessine un pamphlet non dépourvu d’intérêt. En sus du combat de mâles alpha qui oppose Gössmann et Pit, le cinéaste a le mérite de s’attarder sur le vécu un tantinet tragique de ce microcosme représentatif. La concurrence féroce dans le monde du travail, la place de la femme (et les traitements iniques qui lui sont infligés), la tentation de tout laisser tomber ou de céder au crime sont autant d’éléments pris en compte par Carl Schenkel qui en profite pour tirer à boulets rouges sur le système allemand et sur l’entropie qui le gangrène. Car au final personne ne ressortira indemne et encore moins immaculé de la charge du metteur en scène.

Et c’est grâce au refus de concessions qu’Out of Order parvient à séduire et à s’imposer comme la parfaite série B à l’ancienne que l’on réévalue davantage avec le temps, dont l’efficacité efface les quelques défauts qui l’émaillent.

François Verstraete

Film allemand de Carl Schenkel avec Renée Soutendiijk, Götz George, Wolfgang Kieling. Durée : 1h27. 1984. Disponible en Blu-Ray aux Éditions Carlotta

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