Au nom du bien, cauchemar américain

Une valeur sûre ignorée par son propre pays

Jake Hinkson fait partie de ces auteurs ignorés dans leur propre pays et célébrés chez nous. Sans lendemain (Gallmeister) a par exemple obtenu le Grand prix de littérature policière en 2018 et c’était mérité : cette histoire d’amour impossible entre deux femmes coincées dans l’Amérique puritaine des années quarante avait de quoi secouer, tout en évoquant ici et là des grands anciens comme James Cain, auteur du facteur sonne toujours deux fois. Il revient ici avec Au nom du bien et nous ramène dans le Sud, cette région si particulière qui a engendré le Ku Klux Klan et la soul music, Otis Redding et Elvis Presley et qui vota massivement pour Donald Trump en 2016…

Le bal des hypocrites

Richard Weatherford est un pasteur aimé et respecté de l’Arkansas, un homme qu’on écoute et un père de famille vénéré par ses enfants. Seulement Richard a un petit défaut : il aime les garçons et a été séduit par le jeune Gary. Il a couché avec lui, c’était boooooooon… Mais Gary le fait chanter :

— Voilà le problème principal. Tu ne veux pas qu’on te voie avec moi. Jamais. Tu ne veux pas que les gens apprennent, pour nous. Jamais. Tu as eu ce que tu voulais de moi, et maintenant, tu veux juste que je disparaisse. Mais cela ne peut pas arriver tant que tu ne m’auras pas donné trente mille dollars. Tu comprends ça ? Tu me payes pour que je m’en aille et que je me comporte comme si je ne te connaissais pas. Il s’agit de ce que tu veux que je fasse. Je ne vais pas faire tout ça gratuitement. »

Frère Weatherford est coincé. Il essaie d’obtenir de l’argent de Brian Harten, qui essaie d’ouvrir un débit de boisson sous l’hostilité de ses concitoyens. Le pasteur l’encourage à trouver de l’argent auprès de son patron, Tommy. Brian lui vole de l’argent, ce que Tommy prend mal. Et Tommy est le beau-père de Sarabeth, la petite amie de Gary. Dur moment pour frère Weatherford qui doit aussi compter avec sa femme Penny. Il va pourtant s’en sortir, au prix de quelques morts et sans dommage apparent…

Un grand roman noir

Les amateurs du genre détecteront vite à la lecture l’influence de Jim Thompson, autre grand ancien que la France aima : rappelons qu’Alain Corneau adapta un de ses romans pour en faire Série noire avec le grand Patrick Dewaere. Dans Au nom du bien, on découvre une Amérique hypocrite sur ses mœurs (bon, ils ne sont pas les seuls), imprégnée de racisme, homophobe aussi (ce qui inclut un pasteur qui est clairement homosexuel). Sans tout dévoiler, l’intrigue rappelle 1275 âmes de Jim Thompson parce que le héros, un monstre, s’en sort grâce aux faiblesses de la société dans laquelle il évolue. Des innocents et du rêve sont sacrifiés mais les autres s’en foutent…

Pourquoi l’Amérique n’aime-t-elle pas Jake Hinkson ? Parce qu’elle préfère s’enivrer des rêves qu’elle a engendré tandis que nous, pauvres français, nous délectons de ses cauchemars. Formons en tout le cas le vœu que Jake Hinkson, sombre enchanteur, continue de nous livrer des romans noirs et vénéneux pendant encore de longues années.

Sylvain Bonnet

Jake Hinkson, Au nom du bien, traduit de l’anglais (États-Unis) par Sophie Aslanides, Gallmeister « americana », mai 2019, pages, 22,60 eur

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