Barbie, la poupée Mattel fait son cinéma
Barbie Land est une société parfaite composé d’êtres parfaits. Excepté pour Ken, tout se passe pour le mieux pour ses habitantes, jusqu’au jour où l’une d’entre elles développe des idées lugubres. Elle va devoir se rendre dans le monde réel afin de fixer le problème, flanquée de son amoureux éperdu…une visite qui ne se déroulera pas comme escompté.
Sans doute le projet le plus étrange engendré par Hollywood depuis des années, Barbie symbolise la primauté marketing qui lie plus que jamais le cinéma et le blockbuster américain. Cependant, afin de prévenir l’ire des esprits chagrins qui s’échinent à ressasser que c’était mieux avant, cette relation dangereuse ne date pas d’hier ; il faut rappeler ainsi que George Lucas a construit son empire sur les produits dérivés (il n’a point attendu Disney pour cela) tandis que les dessins animés destinés à vendre jouets et figurines ont fleuri des années quatre-vingt à aujourd’hui.
Mais Transformers ou G.I. Joe ne se contentent plus d’occuper la petite lucarne, ils s’exportent désormais au cinéma pour le meilleur et pour le pire, affirmant l’omnipotence mercantile de l’industrie sur le septième art. Un constat regrettable. Voilà pourquoi porter à l’écran l’univers aseptisé de Barbie pouvait interloquer. Hormis promouvoir Mattel, quel intérêt pouvait susciter le long-métrage financé en partie par la puissante industrie ? À cette question, une seule réponse se pose comme une évidence, son duo créatif, très éloigné d’habitude de ce genre de productions.
On retrouve en effet derrière la caméra la réalisatrice Greta Gerwig, à qui l’on doit Ladybird et la dernière adaptation des Filles du Docteur March. En outre, la cinéaste s’est également attelé à l’écriture du scénario aux côtés de son mentor (pour qui elle tourna à de nombreuses occasions), Noah Baumbach, spécialiste des comédies ou des drames doux-amers et grand directeur d’acteurs au demeurant. Avec ce tandem surprenant aux commandes, Barbie avait une chance de prendre son envol, éloigné des poncifs, du moins l’espoir était permis. Et force est de constater que Greta Gerwig et Noah Baumbach ne cessent de se débattre pour accoucher d’un résultat pas déshonorant sans remplir toutefois le contrat à l’arrivée.
The Barbie Show, Free Ken
Malgré une introduction aux références forcées (ah le lancer à la 2001 l’odyssée de l’espace), Greta Gerwig propose une immersion plutôt réussie et originale dans l’univers de Barbie Land, dérision à l’appui. Elle déploie alors un dispositif satirique approprié et l’hyperbole crédibilise d’autant plus son entreprise. Le quotidien idyllique des Barbie, celui plus décevant de Ken, accompagné des chants et des chorégraphies, convainc par son exagération et par le portrait de ce microcosme en dehors de la réalité. Barbie Land se dresserait presque en huis clos réservé à ses étranges habitants isolé de notre monde.
Quant au savoir-faire de Greta Gerwig, il permet d’identifier aisément les caractéristiques de tous ceux et celles qui composent cette société plus hétéroclite qu’il n’y paraît à première vue. Or quand la Barbie la plus standardisée s’éveille à la conscience, tout s’accélère et le film prend la mesure de toute sa dimension critique à travers l’introspection, certes un poil forcée de sa protagoniste. La démarche de Greta Gerwig et de Noah Baumbach rappelle alors celle de The Truman Show ou bien du récent Free Guy tandis que Barbie Land revêt des facettes dignes du « village » de la série Le Prisonnier pour les Ken de toutes sortes. Et c’est bel et bien sur ces points que la réalisatrice remporte son pari jusqu’à l’arrivée dans Los Angeles, moment où, hélas, tout se gâte.
Tonalité diffuse
Hors de leur cocon doré et iconoclaste, les personnages se fondent dans la masse à l’image de Greta Gerwig qui ne répond plus alors aux attentes et aux belles promesses entrevues jusque là. Dès lors, le convenu supplante l’atmosphère délurée et sucrée qui faisait le charme de ce Barbie. Le rouleau compresseur publicitaire devient plus ostentatoire au point d’étouffer les velléités de la réalisatrice. Et si les quelques passages avec Ken arrachent quelques rires forcés, ils n’annoncent que de manière grossière, l’inversion hiérarchique et un tableau sociétal de plus en plus diffus.
Car on ne sait plus à quel saint se vouer et on se demande si le discours féministe féroce ne se transforme pas en ode à la gloire de Ryan Gosling. Pourtant, le problème ne réside en aucun cas dans une attitude hypocrite de Greta Gerwig. Si Ken influe sur l’essence humoristique, Barbie, elle, insuffle le degré émotionnel. La lutte pour l’égalité est sauve donc, bien qu’elle repose sur un socle convenu. Greta Gerwig et Noah Baumbach veulent satisfaire tout le monde, public, Mattel et Warner. Par conséquent, leur ligne de conduite s’avère restreinte et ne permet aucun écart, aucune irrévérence bienvenue.
Ainsi, Barbie et sa voiture enchantée calent en cours de route, la faute en incombe à un manque d’autonomie évident pour ses auteurs (le mal de tout blockbuster). Mais à défaut de devenir la surprise agréable de cet été ou une porte de sortie rafraîchissante pour les franchises hollywoodiennes, le long-métrage s’inscrit dans un processus étrange fait de concessions et de bonnes idées qui ne démérite pas à l’arrivée.
François Verstraete
Film américain de Greta Gerwig avec Margot Robbie, Ryan Gosling, Emma Mackey. Durée 1h54. Sortie le 19 juillet 2023