Hors-saison : avis sur un interlude sentimental

Acteur renommé, Mathieu craque au moment de monter sur les planches et plaque tout. Il se retire en province dans un centre huppé de thalassothérapie. Sur place, il rencontre son ex-compagne Alice, qu’il a quittée quinze ans plus tôt. Pendant cette semaine, les anciens amants vont-ils renouer ou se déchirer à nouveau alors qu’ils doivent surmonter une crise existentielle, chacun de leurs côtés.

Il est surprenant de retrouver Stéphane Brizé aux commandes de Hors-saison, un mélodrame de facture classique en apparence, surtout quand on connaît l’attachement du cinéaste au combat social. En effet, il mène depuis ses débuts une véritable lutte des classes, pas toujours très subtile, mais souvent sincère, flanqué de son fidèle compagnon d’armes Vincent Lindon et s’est fait remarquer avec des réussites relatives telles que La Loi du marché ou En guerre. Voilà pourquoi son nouveau long-métrage risque de déconcerter ses admirateurs de la première heure, d’autant plus que le choix de Guillaume Canet pour endosser le rôle phare choquera une partie du public, peu enclin à lui pardonner ses dernières prestations hasardeuses.

Pourtant, le pénultième travail de Stéphane Brizé laissait présager en partie une volte-face aussi radicale. Un autre monde convainquait bien mieux quand il se concentrait sur la chronique d’une famille en pleine implosion et qui essayait malgré tout de se reconstruire, alors que le film peinait à varier son approche du conflit qui grondait au sein d’une filiale de multinationale. Un autre monde souffrait hélas, d’une démarche binaire qui nuisait à la cohésion de l’ensemble. Et si cet écueil important frappe aussi Hors-saison, il n’empêche pas néanmoins le couple Guillaume Canet-Alba Rohrwacher de briller par moments et Stéphane Brizé de sortir de son cadre parfois trop strict pour s’adonner à une émotion maîtrisée.

Lost in thalasso

Certes, le metteur en scène juxtapose de manière peu homogène, la crise existentielle de ses protagonistes et leur idylle, constituée de bribes de souvenirs persistantes, qui attisent une flamme toujours vive. Toutefois, quand il segmente ces deux thématiques, il extrait le meilleur de ses interprètes et il magnifierait presque sa forme pour l’occasion. Il expose notamment le malaise qui habite Mathieu et Alice avec une indiscutable élégance, l’introduction dans le centre de thalassothérapie en atteste. Durant les vingt premières minutes, que certains jugeront interminables, Stéphane Brizé affiche son savoir-faire tout en rendant hommage à Sofia Coppola.

Les ombres de Lost in Translation et de Somewhere planent sur le long-métrage tandis que Guillaume Canet sombre dans la dépression, peu aidé par un environnement qui le déstabilise et par une épouse qui rejette d’emblée ses angoisses ou ses incertitudes. On se souvient alors de Bill Murray, harcelé par sa conjointe au téléphone dans Lost in Translation, perdu dans l’inconnu ou de Stephen Dorff dans Somewhere, qui cherchait à s’extirper du cercle de la solitude. Mathieu/Guillaume Canet s’insérerait très bien dans l’univers de la réalisatrice américaine et le style déployé par le cinéaste contribue parfaitement à cette assimilation. Excepté qu’ici la thérapie s’applique à un couple mort-né, mais dont la résurrection pourrait panser les blessures et répondre aux interrogations d’un enfant gâté et d’une mère de famille en plein doute.

Regarde les gens pleurer

La suggestion pertinente de Stéphane Brizé réside dans la sempiternelle question souvent posée (et mal amenée): et si ? Que nous aurait réservé la vie, se demandent Alice et Mathieu, si leurs chemins ne s’étaient pas séparés quinze ans auparavant. Or, si le réalisateur ne brille pas par son audace ou son originalité quand il évoque les remords des uns ou des autres, il se rattrape en revanche par quelques instants assez poignants comme l’entretien vidéo puis les noces d’une personne âgée ou pendant ces secondes qui paraissent une éternité, celles qui précèdent l’étreinte, le doux baiser, la sensation d’échapper aux pressions d’un morne quotidien. Fontaine de jouvence ou lieu de perdition, la province dénigrée par ce Parisien et acceptée de fait par cette femme au foyer devient un endroit privilégié, hors du temps, propice à l’évasion dans un anonymat que chacun n’aurait jamais voulu quitter.

Cette idylle renvoie à celle de Clint Eastwood et de Meryl Streep dans Sur la route de Madison, même si Stéphane Brizé ne s’avère pas aussi compétent pour filmer les grands espaces, contrairement au maître américain, se contentant de gros plans racoleurs et sans éclat sur le cadre naturel. On comprend dès leurs retrouvailles, sans un étalage artificiel, qu’ils se sont aimés, qu’ils s’aiment et s’aimeront encore. Et c’est sur ce point que le réalisateur remporte son pari mélodramatique, grâce à sa capacité à ne pas s’embourber dans un lyrisme trop prégnant, lorsque les personnages attendent, espèrent et fondent en larmes. Par conséquent, on regrette davantage plus ce dispositif bipolaire qui rattache les deux propositions, tant elles s’affirment avec justesse individuellement.

Mais derrière cette lourdeur se dissimule une authentique prise de risque, celle d’une esquisse fragile comme d’une romance avortée. Le bond dans le passé vécu par les protagonistes n’est-il pas celui que chacun d’entre nous souhaite secrètement ? Et c’est en jouant avec cette chimère que Hors-saison touche le spectateur.

François Verstraete

Film français de Stéphane Brizé avec Guillaume Canet, Alba Rohrwacher, Sharif Andoura. Durée 1h56. Sortie le 20 mars 2024

Laisser un commentaire