Indigne, portrait d’un personnage trouble par Cécile Chaubaud
L’indignité, c’est ce qui empêche de mériter. Mais que recouvre le mot titre “Indigne” dans le roman de Cécile Chaubaud autrice d’un Rachilde, homme de Lettres remarquable ? Est-ce ce qui a conduit le personnage principal devant la Justice ou bien ce qu’il a subit lui-même ? Ce qui est certain, c’est que ce très beau roman, Indigne, joue sur un entre-deux et l’ambivalence d’un personnage veule et généreux, coupable et victime, tout à la fois.
D’un homme l’autre
Georges est accusé d’avoir été un collaborationniste, actif donc aux côtés des Allemands, et un mauvais français. Il est jugé à Pau, et son procès s’ouvre le 6 décembre 1945, et ouvre le roman lui-même. Ainsi le lecteur sait tout de suite à qui il a affaire : membre actif du PPF de Doriot, rédacteur d’insanités antisémites dans le journal du parti. Il a, même indirectement, du sang de français sur les mains.
Le même Georges Despaux a été interné au Block 55 de Buchenwald, au bataillon des chiottes chargé de récurer la merde des prisonniers, lui qui avait souffert enfant d’une poliomyélite invalidante s’est retrouvé parmi les invalides et les scrofuleux. Qu’a-t-il fait pour y être interné ? Se peut-il qu’un collaborationniste soit envoyé dans un camp de Concentration par celui-là même qu’il soutient en trahissant son peuple ? Quel étrange parcours que le sien.
L’histoire est raconté en temps temps entrelacés : les moments du procès, et les moments de la quête de David. Le hasard a mis entre ses mains les dessins que Georges Despaux a réalisés à Buchenwald. Et la correspondance qu’il a continuée d’entretenir avec son père, Samuel, bien des années après. Tout montre un être sensible, artiste, désireux de témoigner de la condition inhumaine de ses camarades d’infortune. Parfait salaud ce Georges Despaux qui sauve le juif Samuel d’une mort certaine et sera le meilleur camarade pour le moral de tous à Buchenwald ? Pour le moins, on s’interroge.
Une enquête pour la mémoire
L’enquête que mène David, au risque de son couple même parce qu’il s’y investit plus que de raison, est aussi celle de l’auteur. Car Georges Despaux est lié à sa famille, comme un secret honteux. C’est un artiste reconnu pour son témoignage sur les camps (1), mais nul, quand il l’expose, ne parle de cette adhésion trouble au PPF (2). C’est son engagement politique qui est la cause de sa présence au Tribunal de Pau. Mais tient-on compte de l’époque, des conditions de vie, d’une nécessité de trouver de quoi nourrir ses enfants ? Tient-on également compte que ceux qui jugent, ou qui forment l’assistance, ont sans doute aussi quelques points à se reprocher, et qu’un exutoire, un salaud, est bien utile à tous en ces moments d’oubli et de réconciliation ?
Le lecteur est porté tout au long du roman par une écriture simple et prenante, sans artifice, qui expose le plus profond des choses sans entrechats inutiles. Et elle questionne l’Histoire, le cœur des hommes, la société. Elle sort du presqu’anonymat un homme emblématique de cette période trouble, où personne n’est celui qu’il va prétendre être et où l’on montre l’autre pour ne pas avoir à se regarder. Indigne est un roman important.
Loïc Di Stefano
Cécile Chabaud, Indigne, Écriture, août 2023, 240 pages, 20 euros
(2) On consultera avec intérêt le livre Georges Despaux à Buchenwald, qui présente ses dessins testimoniaux, mais dont la présentation biographique oublie de mentionner le pan non valeureux de son histoire.