Jean-Jacques Rousseau et la vie simple

Le concept de décroissance a resurgi çà et là, depuis quelques temps, porté par divers philosophes, intellectuels, politiques ou écologistes. Il avait été un peu oublié au cours des décennies d’après- guerre, où le Progrès, lié à une consommation effrénée, emportait l’adhésion. La petite maison d’édition « Le passager clandestin » s’applique à montrer que ce thème de la décroissance est très ancien ; il fut proposé par Epicure et ensuite par des écrivains aussi divers que Charbonneau, Ellul, Thoreau ou Lanza del Vasto. Dans un petit ouvrage, Cécile Hellian s’attache à montrer que Jean-Jacques Rousseau, avec son concept de « la vie simple » figure aussi parmi les précurseurs de la décroissance.

Mais qu’est-ce que la décroissance ?

Ce n’est nullement le retour aux calèches et à la lampe à huile, comme le prétendent de mauvais caricaturistes. C’est seulement un regard sur un excès de surconsommation qui ruine la planète. Décroitre, c’est simplement moins consommer, pour mieux consommer. C’est éteindre l’électricité quand on n’en a pas besoin. C’est aller à pied plutôt qu’en voiture, et limiter la folie actuelle de la mobilité. C’est cesser de vouloir toujours plus, refuser l’accumulation inutile, savoir se contenter de ce que l’on a. 

Comment limiter les besoins superflus des plus riches de façon à donner aux plus pauvres qui manquent du nécessaire ? se demande Rousseau, qui écrit : « Les plaisirs exclusifs sont la mort du plaisir. Les vrais amusements sont ceux qu’on partage avec le peuple ; ceux qu’on veut avoir à soi seul, on ne les a plus ». Rousseau se dit persuadé que « l’homme de goût n’a que faire des richesses », et il s’en moque dans Emile : « Gens à coffres-forts, cherchez donc quelque autre emploi de votre opulence, car, pour le plaisir, elle n’est bonne à rien ». Et d’en appeler à une modération pour toute chose, ce dont les anciens Grecs avaient fait une vertu cardinale avec leur précepte « Rien de trop ». 

Le principe moderne de la décroissance, souvent mal compris car mal expliqué, n’est pas un renoncement à la croissance, encore moins à la production industrielle, ce qui appauvrirait toute la société. C’est seulement vouloir ralentir une croissance infinie dans un monde fini. Cela implique une analyse des besoins de la société du XXIe siècle, au regard des dégâts observés sur la planète. Sait-on qu’un quart des nourritures produites dans le monde, n’est pas consommé mais jeté à la poubelle ? Et doit-on, par gaspillage, continuer à polluer la planète, épuiser ses ressources, et occasionner des dégâts irréversibles, combien de temps encore ?

Rousseau visionnaire

Jean-Jacques Rousseau, comme tant d’autres avant lui et après lui, avait pressenti les dangers d’une surconsommation, qui sont en cause aujourd’hui. Cécile Héllian, par son choix de textes, et sa connaissance de l’écrivain, montre que ce dernier avait bien posé le problème, presque trois siècles avant nous, alors qu’il ignorait tout de la société industrielle, de la mondialisation, et des menaces actuelles sur la Terre. Rien que pour cela, on lira avec intérêt ce petit bouquin, sans parti pris, mais avec un regard particulier pour ce philosophe un peu oublié de nos jours. Philosophe dont on n’oublie pas que sa Nouvelle Héloïse fut l’un des succès de librairie les plus retentissants du XVIIIe siècle…

Didier Ters

Cécile Hellian, Jean-Jacques Rousseau et la vie simple, Le Passager clandestin, mars 2021, 120 pages, 10 eur 

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