Juke, 110 portraits de bluesmen noirs

On veut du blues

Ah le blues, cette vieille dame qui ne meurt pas, pourrait-on dire. Qui sait aujourd’hui que l’une des meilleures chansons de l’album IV de Led Zeppelin, When the levee breaks, est en fait due à une femme, une vraie chanteuse de Blues, Memphis Minnie ? Cette anecdote est un peu à l’image du blues, sans qui le rock and roll n’aurait jamais existé mais qui a été toujours le « parent pauvre » de la musique populaire. Et ce malgré les efforts de beaucoup de moines soldats. Christian Casoni, un temps chez Rock and Folk où il tenait la rubrique « Beano Blues », est l’un d’entre eux. Il a choisi de nous trousser avec Juke 110 portraits de Bluesmen noirs.

Des héros et des héroïnes

Avec Juke on découvre un grand nombre de personnages hauts en couleurs. Certains dont on ne sait même pas avec quelles certitudes quand ils sont nés : joie de l’Etat civil du Sud des Etats-Unis, viscéralement raciste pendant une large partie du XXe siècle. On croise des figures connues comme Blind Willie McTell ou bien sûr le fameux Robert Johnson dont les chansons ont largement irrigué le rock : Cream reprendra Crossroads, Led Zeppelin, encore eux, Traveling Riverside Blues.

Mais il y a bien sûr les deux jumeaux maudits, Muddy Waters (Mannish Boy, waouh) et Howlin’ Wolf. Leur rivalité, exagérée, fait l’objet d’un chapitre spécial. Et puis John Lee Hooker, Jimmy Rodgers, Screamin Jay Hawkins (mort en France), n’en jetez plus tellement ils sont bons.

Chess, le label historique

On découvre aussi des labels. Chess en premier lieu, qui ont fait ces artistes (en les escroquant un peu) et fait connaître cette musique noire à un public blanc. Il y aurait beaucoup à écrire sur Chess, label historique du blues de Chicago, à qui on doit aussi de grandes chansons soul comme Rescue me de Fontella Bass ou Sitting in the Park de Billy Stewart. Et puis il y a cette immense chanteuse, Etta James, qui mériterait un ouvrage concocté par un amoureux. Retenons donc pour finir que les frontières entre Blues et Soul étaient loin d’être hermétiques. Les musiciens passaient de l’un à l’autre sans difficultés.

Et puis il y a nos chers rockers anglais (l’auteur de ces lignes est un grand fan) qui ont parfois réécrit l’histoire (l’arrangeur/producteur Willie Dixon ne faisait pas le ménage chez Chess, comme le racontait Keith Richards, selon Christian Casoni) qui se transforment en véritables groupies devant leurs héros, très goguenards devant leurs fans. Comprenons que quand on a connu le KKK, on regarde les blancs avec circonspection même si ceux-ci sont différents… et vous volent beaucoup. Mais après tout, les bluesmen aussi avaient volé quelque chose qui était dans l’air depuis les plantations… I got the blues, chantait Jagger après (bien) d’autres. Tant mieux, vive le Blues !

Un dernier mot

Après avoir ce livre de passionné, qui rejoint en partie les nôtres, on ne peut s’empêcher de penser à certaines dérives actuelles. Une artiste canadienne a ainsi interdit à des critiques blancs de parler de son spectacle parce qu’ils étaient… blancs et incapables de comprendre. Ce jugement est faux. Pour tous les fans de Blues, de Soul, de Funk, de Jazz, il est même insultant.

La musique n’a pas de couleur. Il faut certes pour un français, à l’origine non-anglophone, faire un certain effort pour comprendre et aimer Muddy Waters (et comprendre le contexte socio-culturel dans lequel ce dernier a émergé) plutôt que Michel Sardou et la musique folklorique normande. Il reste que Mannish Boy et Hoochie Koochie Man me touchent plus que les chansons de Sardou et la musique folklorique normande. Donc soit je suis un snob qui vole une musique qui n’est pas la sienne, soit je suis spirituellement un « noir américain » qui s’ignore, soit…

La bonne musique est universelle. J’en resterai là.

Sylvain Bonnet

Christian Casoni, Juke 110 portraits de bluesmen, Le mot et le reste, janvier 2020, 432 pages, 26 eur

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