La femme au balcon de Christophe Sanchez, l’image du désir

Le texte de Christophe Sanchez commence ainsi :

« Je vis dans un appartement avec vue sur une femme au balcon. »

Qui n’a rêvé au spectacle de la femme aperçue à la fenêtre voisine ? Captivante au point d’être inaccessible : celle-ci, au moins, ne déçoit pas notre imaginaire…

Rien que le désir

Captivante mais obsédante ! Le narrateur commence par protester auprès de son bailleur qui avait omis ce « détail » dans son contrat de location, mais rien n’y fait. Il faut qu’il s’y fasse… au fond il ne demandait que cela… Le voilà donc accompagné au quotidien de cette présence muette, bien que familière :

« La femme, bien qu’installée au balcon d’en face, est proche de ma fenêtre. Seule la rue, étroite, nous sépare, si bien que j’ai l’impression qu’elle apparaît dans mon salon. Je la ressens, je tourne la tête vers la fenêtre et elle est là. Comme un fantôme familier soufflant dans le petit matin sa buée de nicotine sur mes carreaux. »

 Le lecteur attend un heureux dénouement, il serait prêt à vite tourner les pages pour y parvenir… Le texte entier est tenu par cette tension de l’attente sans fin : Christophe Sanchez n’est ni mort ni vivant, mais un écrivain… qui vaut bien ‒ selon la plaisanterie rituelle ‒ un marin. Il l’annonce dans un entretien avec Sabine Huynh : « l’écriture fut une échappatoire aux problèmes que je pouvais rencontrer dans ma vie sentimentale ». Il le dit bien : une échappatoire. Sa posture dans la vie consisterait donc à pratiquer un recul… passionné.

Les petits riens de la vie

Une passion qui finirait par l’emporter, presque. Le texte se clôt ainsi : « Depuis quelque mois déjà, c’est un peu comme si nous vivions à deux. Je nous fais l’effet d’un vieux couple » … mais ce vieux couple ne se parlerait pas, il reste dans le « comme si » … évitant ainsi tous les désagréments de la vie réelle… Un dégagement qui ne va pas sans humour : finement, l’auteur ne cesse de se moquer de son narrateur, avec tendresse.

La femme au balcon est suivie d’un autre texte titré À la rue qui fonctionne de la même façon, bien que dénué de toute tension érotique. Notre auteur est un fin observateur des « petits riens » de la vie, il cherche à en faire de grandes choses, de grands textes. « Ces portraits, ces moments de vie, ces gens anonymes sont brossés dans le sens de mon poil et rabattu sur le front de la réalité, si elle existe » déclare-t-il.

Dans Morning à la fenêtre, un poème également publié chez Tarmac, Christophe Sanchez avait adopté le même dispositif : calé derrière sa fenêtre, encore, il s’était attaché à décrire le petit jour et les émotions qui pointent :

« Ce que disent, en quelques vers libres, les vagues qui poussent à la fenêtre l’âme des sans-réveils. »

Mathias Lair

Christophe Sanchez, La femme au balcon, Tarmac édition, décembre 2024, 148 pages, 15 euros

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