Nos silences de Laurence Joseph

A l’écoute

Si Laurence Joseph écrit sur le silence, est-ce parce qu’elle en est une fervente praticienne ? En tant que psychanalyste, elle est praticienne d’un certain silence, car il en existe de multiples sortes qu’elle décrit avec finesse dans ce livre. Pendant la cure, c’est le silence de l’accueil qu’elle pratique, celui qui consiste à se retirer pour laisser la place à autrui, à sa parole. Voilà ce qu’elle en dit :

Qu’est-ce qui se passe pour moi à ce moment-là : je m’efface, j’attends ce mot, ce récit, je l’attends comme si je n’en connaissais aucun autre.

Par cette phrase, en un sens, tout est dit de l’écoute psychanalytique : il s’agit de laisser à l’autre un espace pour qu’il s’invente de lui-même. Ce dont on n’a guère la possibilité dans la vie courante, où l’on est toujours en devoir de répondre à autrui. A ce propos, elle cite heureusement le psychanalyste J.B. Pontalis : « Je m’oppose à ces analystes qui confondent leur mutisme obstiné et cet arrière-fond, ce creux qui permet à toutes les voix de résonner ». C’est grâce à cet écho que le patient entend ce qu’il dit, plutôt que de s’adresser à autrui et de s’adapter à ses réactions  

Des silences imposés aux silences nécessaires

Ceci dit, il existe bien d’autres sortes de silences que Laurence Joseph décrit avec une belle subtilité. Il y a le silence nuisible du secret de famille que l’on tait, et qui nous hante sur plusieurs générations. Le silence devant tout ce qui est sacré, religieux ou profane. Le silence obligatoire de l’omerta. Le silence devant l’oppression politique, le silence de l’enfant « incestué », de la femme violée… à ce propos elle rappelle que la prise de parole de Camille Kouchner dans son roman vrai, La Familia grande, avait provoqué la création de la Ciivise, la commission sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants – aujourd’hui en crise tant le sujet reste explosif. On sait qu’en politique aussi il est dangereux de briser le silence, pour peu que le pouvoir en place soit ombrageux.

Il est aussi des silences nécessaires : il y a de l’indicible, de l’ineffable que les mots ne feraient que trahir, à propos desquels Laurence Joseph a cette phrase :

On retrouve ce même sentiment de carence lexicale dans les situations d’euphorie, d’amour, d’extase, de victoire et d’accomplissement.

On lira avec bonheur ce livre qui allie l’intelligence à la délicatesse, en nous rappelant combien, pour nous tous, le silence est essentiel.

Jean-Claude Liaudet

Laurence Joseph, Nos silences, apprendre à les écouter, éditions Autrement, mars 2025, 192 pages, 19 euros

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