De la tyrannie, la démocratie en danger ?

« L’histoire ne se répète pas, elle instruit. »

 

C’est ainsi que Timothy Snyder, historien américain fameux à qui on doit Terres de sang (Gallimard, 2012) et Terre noire (Gallimard, 2016), entame ce court essai, rédigé au lendemain de l’élection de Donald Trump en 2016. En vingt chapitres, Snyder entend donner un catalogue de « résistance », à destination des Occidentaux, dans un temps qu’il juge néfaste pour les libertés et la démocratie. Et son idée est simple : tirer de l’histoire de l’Europe au vingtième siècle des leçons pour notre époque. Soit. La démarche suscite l’enthousiasme du lecteur, au moins dans un premier temps.

 

 

Un catalogue de bonnes intentions

Le lecteur/citoyen doit ici comprendre d’emblée quelque chose : le critique, très attaché à sa liberté de penser et d’écrire, est ulcéré par la première année de la présidence Trump. Il s’avoue partial et ne supporte pas qu’on touche aux droits des femmes de disposer de leur corps, comme en Pologne récemment. Pour autant, tout en restant vigilant, il ne croit pas que le fascisme menace. Snyder liste une vingtaine de recommandations dont certaines, oui, sont nécessaires :

 

10. Croire à la vérité / Abandonner les faits, c’est abandonner les libertés. Si rien n’est vrai, nul ne peut critiquer le pouvoir faute de base pour le faire. Si rien n’est vrai, tout est spectacle. Le portefeuille le mieux garni paie les lumières les plus aveuglantes. »

 

On ne peut pas ne pas penser à Trump et à ses Alternative facts. Hilarant, si on ne se rappelait pas les nazis (ou les soviétiques) dans leur promptitude à manipuler les faits. Hommage soit rendu au docteur Goebbels ! Il avait vu venir la modernité. L’ironie, le cynisme aide l’homme anxieux du vingt et unième siècle à tenir. Surtout dans cet univers où le consumérisme ronge la pensée critique (et la démocratie). Reste que, parfois, on reste pantois, oui, devant certaines recommandations de Timothy Snyder :

 

15. Contribuer aux bonnes causes / Militez dans les organisations, politiques ou non, qui expriment votre conception de la vie. Choisissez une organisation caritative ou deux et faites des virements automatiques. Vous aurez alors accompli un choix libre pour soutenir la société civile et aider les autres à faire le bien. »

 

Là, le critique se frotte les yeux. Est-ce ici une invite à donner à Amnesty international ? Avant d’être critique, l’homme fut adolescent et se souvient du scandale de l’ARC et des dons encaissés sans foi ni loi par un triste sire. Non que toutes les ONG soient du même acabit, attention, mais on garde une certaine méfiance du coup. Et on a du mal à comprendre le lien avec les libertés et la défense de nos démocraties. Il y en a un oui, mais pas directement.

 

 

Moraliste ou historien, il faut choisir

C’est bon de se moquer, on ne pourrait le faire dans un régime totalitaire. Le passé éclaire souvent le présent comme veut le dire, implicitement, Timothy Snyder. Ce dernier, dans sa hargne anti Trump, mélange beaucoup de registres et pose en moraliste alors qu’il est historien. Il en a le droit mais perd aussi le bénéfice de sa chaire. Que Trump ou d’autres (citons Viktor Orban) soient potentiellement dangereux est largement possible. Si l’Histoire donne des référents pour se méfier, elle a aussi ses limites si on adopte jusqu’au bout une démarche analogique : rien ici ne permet d’assimiler Trump (ou Orban) à Hitler (ou Staline). Pour autant, ces personnages sont dangereux et ne manquent pas d’inquiéter. La vigilance est de mise. Gardons-nous cependant de l’anachronisme (si facile justement) et essayons de percevoir (ce n’est pas simple) leur singularité pour mieux comprendre leurs succès électoraux. Que nous dit Snyder sur les dégâts de la mondialisation néolibérale dans nos démocraties, sans laquelle jamais Trump n’aurait été élu dans le pays qui en est à l’origine ? Rien. En fait, on est pas loin ici de la révolte « facile » à la Stéphane Hessel…

 

A lire et à réfléchir.

 

Sylvain Bonnet

 

Timothy Snyder, De la tyrannie : vingt leçons sur le XXe siècle, traduit de l’anglais (États-Unis) par Pierre-Emmanuel Dauzat, Gallimard, octobre 2017, 112 pages, 9,50 euros

 

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