Figures du Palestinien, un peuple sans terre
On connaît bien ici Elias Sanbar, ancien ambassadeur de Palestine à l’UNESCO, intellectuel de haute volée et parfaitement francophone. En 2004, il avait publié Figures du Palestinien, un essai qui avait reçu le prix de l’amitié franco-arabe. Vingt ans plus tard, en pleine guerre de Gaza et tandis que les combats font rage dans le sud du Liban, cet essai reparaît.
Un ouvrage d’anthropologie historique
Un peu à la manière des structuralistes, Elias Sanbar s’efforce de comprendre et de reconstituer l’histoire Palestinienne en ayant recours à la notion de figure. Il en retient trois : celles des gens de la Terre sainte (musulmans, chrétiens, juifs), présents dans les derniers temps de l’empire ottoman. Il y voit ces gens coexister de manière idéale, respectueux des usages de chacun et des lieux de pèlerinage. La troisième figure est celle des arabes palestiniens, née durant le mandat britannique face à l’expansion des colonies juives, fruit de l’idéologie sioniste. Ces Arabes Palestiniens souffrent alors, selon Sanbar, du double colonialisme britannique et juif. Et ils deviennent progressivement des étrangers sur une terre revendiquée par les membres du foyer national juif, le Yichouv. Enfin, la troisième figure est celle de l’absent, du réfugié chassé de sa terre désormais occupée par des juifs israéliens (sous un autre nom).
Des limites d’un ouvrage
Figures du Palestinien est l’ouvrage d’un Palestinien, marqué par la Nakba (la catastrophe en arabe) de 1948. Elias Sanbar se sert pour alimenter sa réflexion des travaux des nouveaux historiens israéliens qui ont par exemple démontré que l’expulsion des populations avaient, dans certains cas, été préparés (c’est la thèse d’un Benny Morris). Sanbar montre aussi que les terres des premières colonies juives ont souvent été achetées à des propriétaires résidant au Liban ou en Syrie, indifférents aux populations locales. Surtout, il a à cœur de démontrer comment les populations palestiniennes ont été dépossédées de leurs terres, de leur pays, presque de leur identité. Pour autant, il minore le rôle des élites Palestiniennes durant les années trente qui n’ont pas été à la hauteur des évènements, tel le grand mufti qui finit par se rallier à Hitler. Il minore aussi l’attitude des pays arabes comme l’Égypte, la Jordanie ou la Syrie qui se sont battues contre le nouvel état juif pour leur propre compte, pas pour les Palestiniens : la Jordanie a par exemple annexé jusqu’en 1967 la Cisjordanie, l’identité palestinienne du pays étant au mieux ignoré. Il n’aborde pas, et on le comprend, l’échec du processus de paix dont il a été un des témoins. Car la responsabilité d’Arafat est évidente, aux côtés de celles de Barak et de Sharon.
Ouvrage militant aux accents souvent (mais pas tout le temps) anti-israéliens, Figures du Palestinien a le mérite de raconter l’itinéraire d’une nation en quête d’une terre, une quête malheureusement loin, mais très loin d’aboutir.
Sylvain Bonnet
Elias Sanbar, Figures du Palestinien, identité des origines, identité de devenir, Gallimard Folio Histoire, mars 2024, 304 pages, 9,40 euros