FAIRE IMPRESSION – QUAND L’AFFICHE DE CINÉMA S’INVENTE : une exposition de la Fondation Jérôme Seydoux

Il n’est pas sûr que le Musée d’Orsay et la Fondation Jérôme Seydoux se soient donné le mot, mais, comme on dit, c’est dans l’air : ces deux temples du patrimoine proposent chacun une exposition sur les premières affiches publicitaires, étant entendu que celle qu’on peut voir à la Fondation est consacrée aux affiches de cinéma et inclut des projections de courts métrages tournés il y a plus d’un siècle. (1)

Deux facteurs ont déterminé la naissance et le développement de l’affiche publicitaire en général dans la seconde moitié du XIXe siècle (auparavant, on ne placardait guère que des avis à la population, autrement dit des textes sans illustrations). Le premier est la mise au point d’un nouveau procédé de fabrication du papier. On utilisait jusqu’alors comme base de vieux chiffons ; mais les réserves de vieux chiffons n’étaient pas inépuisables et, vers 1860, on commence à produire du papier à partir du bois, ce qui, soit dit en passant, contribue à la création et à la diffusion des ancêtres de nos « livres de poche ». L’autre innovation touche à l’impression proprement dite : certes, par rapport à ce qu’on peut faire aujourd’hui avec les ressources de l’informatique, il faut beaucoup de temps pour imprimer une affiche et plusieurs passages – autant que de couleurs – par la presse sont nécessaires pour parvenir au résultat final, mais entrent désormais en jeu des plaques de cuivre, bien plus maniables que la pierre ou le bois qu’on utilisait jusque-là. Ne tardent donc pas à se mettre en place de véritables campagnes publicitaires. La publication des Misérables de Hugo est ainsi précédée d’un déploiement sur les murs de Paris d’affiches représentant différents personnages du roman, mais sans la moindre mention de leurs noms. Le teasing était déjà là. Si certains peintres et dessinateurs firent au début la fine bouche devant cet art de la rue (la langue française, encore très pauvre, n’incluait pas l’expression street art), des gens comme Mucha, Benjamin Rabier ou Fernand Léger surent voir qu’un nouveau champ s’ouvrait à eux.

Le titre de l’exposition proposée à la Fondation Jérôme Seydoux, FAIRE IMPRESSION, n’est pas un simple de jeu de mots. Ce qui frappe d’emblée en effet, c’est la profusion, pour ne pas dire l’agressivité des couleurs sur toutes ces affiches. Il s’agit vraiment de secouer le passant. Par un mensonge, puisque le cinématographe était encore en noir et blanc ? (2) Non, par une invitation au rêve, la même invitation qu’on trouve encore aujourd’hui sur des affiches de cirque : nombre de thèmes abordés relèvent directement du merveilleux. Cette « palette graphique » va régulièrement de pair avec un effort de composition : les noms des comédiens sont très rarement mentionnés (le star system n’est pas encore né), mais l’on joue abondamment sur le décor ; les personnages sont souvent représentés en train de dominer ou de survoler la Ville (on se souvient de l’affiche célèbre de Fantômas), et l’image associe donc le ciel et la terre, l’imagination et la réalité.

Et puis – tout simplement – les affiches de cette exposition nous renseignent sur ce qu’était le cinéma du début du XXe siècle et sur ses sources d’inspiration. Le nombre de films tirés d’œuvres littéraires classiques est étonnant. Les romans de Hugo et de Zola sont très tôt portés à l’écran. Marcel Allain, co-auteur des romans Fantômas, était aussi scénariste… Certaines affiches nous rappellent en outre qu’il fut un temps où le « grand film » n’était pas simplement précédé d’une succession de spots publicitaires : elles indiquent en détail les bandes d’actualités qui faisaient aussi partie du programme.

Toutes ces affiches ont désormais plus d’un siècle, mais leur parfait état de conservation tient du miracle et pourrait nous faire penser qu’elles sortent tout droit de l’imprimerie. Elles sont de toute façon cent fois plus modernes, autrement dit cent fois plus innovantes que ces indigentes affiches de cinéma que nous subissons depuis quelques années sur les colonnes Morris et qui se résument de plus en plus à une photo « posée » d’un ou deux acteurs. Il y a deux ou trois décennies, on pouvait encore citer les noms de quelques grands affichistes français – Ferracci, Landi, Yves Thos, Folon. Qui peut en citer un seul aujourd’hui ?

FAL    

(1) L’exposition se termine en septembre ; le catalogue de 118 pages peut être commandé sur le site de la Fondation :

https://www.fondation-jeromeseydoux-pathe.com/edition/24?tag=Catalogues%20d%27exposition=.

(2) Méliès produisait des déjà des films en couleur en peignant directement au pochoir sur la pellicule, mais le temps que prenait ce travail de fourmi excluait sa généralisation.

Laisser un commentaire